lundi 26 septembre 2016

Bag of Bones [épisode 16]


            Florian, comme manager, il est hyperactif. Je suis sûr que ses parents auraient aimé qu’il mette même moitié moins d’application dans ses études… Comme son père est fan de rock et qu’il suit notre groupe attentivement (même s’il est un peu déçu que le fiston ait mis un terme à sa carrière de chanteur), il s’est mis en tête qu’on devait ab-so-lu-ment enregistrer un ep. Enfin lui, il disait « un 45 tours », mais Florian lui a dit que ça s’appelait plus comme ça putain papa, arrête, tu m’fous la honte là !
            Nous, évidemment, sortir un ep, ça nous intéressait grave, tu penses ! Florian avait quand même fait remarquer à son père qu’on avait déjà une démo pas trop crade, mais le côté fait à la maison, ça le faisait doucement rigoler, le daron, et il disait qu’on valait mieux que ça. Il était même prêt à nous aider financièrement pour le studio d’enregistrement. Ah ben là d’accord, fallait le dire tout de suite !
            D’autant plus que nous, à force de fricoter avec le milieu musical lavallois, on commence à connaître du monde et des bonnes adresses. Entre deux bières au 6par4, il nous arrive de dire salut aux frères Sauvé ou même carrément à Jeff Foulon ! On a donc trouvé un studio en Mayenne, à un prix abordable, et on a choisi parmi nos titres ceux qui avaient le plus de succès parmi un panel représentatif d’à peu près douze personnes. À nous la gloire et les microsillons !
            Bon. Une fois dans le studio, le gars nous a dit comment ça allait se passer. D’abord, on allait enregistrer la batterie. Ça m’a mis un coup de pression direct, mais en même temps je me suis dit qu’après ça, j’allais être quitte pendant que les copains bosseront comme des dingues. Alors je me suis mis derrière ma batterie et le gars m’a dit : « Je vais te mettre un clic. »
            Un clip ? je me suis dit. Pourquoi il veut me mettre un clip ? Je suis venu là pour m’enregistrer, pas pour regarder D8 ! Et puis non, y’avait pas de clip, juste un tic-tac bizarre, alors il m’a dit « Vas-y ! » et j’ai commencé à jouer à fond, comme en répèt’, brada-bang brada-bang, roulements de caisse claire et martelage de fûts et là il m’a fait un signe avec les mains comme au hand-ball : temps mort. J’ai arrêté.
            « Par contre, il faut que tu joues sur le clic ! »
            Et là, j’ai fait un lien avec le tic-tac super chiant que j’entendais pendant que je jouais. « Ah ! Mais il faut que je m’en occupe, de ce truc-là ?
            ‒ Non non, il m’a dit. J’ai juste mis ça pour la déco. » (Le mec qu’a un putain d’humour, sans déconner, MDR.)
Alors je me suis concentré sur le clic et j’ai recommencé, et là j’ai senti la sueur couler sur mon front. Dès que j’entamais un roulement, je me retrouvais aux fraises, obligé de recommencer. Ce truc m’a forcé à décomposer tous mes plans de batterie, j’avais l’impression de faire des maths, pas de la musique ! L’impression de courir un marathon dans des chaussures trop petites ! Elle allait être longue, cette session d’enregistrement…

 Tranzistor n° 58, janvier 2016.

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