lundi 28 mars 2016

Des buveurs, 9.

Dessin paru dans Zapoï, 2012.

dimanche 20 mars 2016

Des buveurs, 8.

Dessin paru dans Zapoï, 2012.

dimanche 13 mars 2016

Des buveurs, 7.

Dessin paru dans Zapoï, 2012.

dimanche 6 mars 2016

Des buveurs, 6.

Dessin paru dans Zapoï, 2012.

samedi 5 mars 2016

Carnet de lectures... entre autre. 2






1er mai 2015.
            J’ai acheté les trois volumes correspondant à l’intégralité des nouvelles de Matheson, et j’ai bien l’intention de toutes les lire. Richard Matheson est sans doute l’un des auteurs du genre fantastique – au sens américain du terme – qui me passionnent le plus (mais il faut bien reconnaître que ce n’est pas un genre que je connais si bien que ça). J’aime sa façon de transformer la réalité la plus banale, de la distordre légèrement pour y amener la folie : un art que l’on retrouve chez Stephen King. L’Homme qui rétrécit en est le meilleur exemple. D’ailleurs, Emmanuel Carrère, qui utilise le même procédé dans La Moustache, avait reconnu s’être inspiré avant tout de Matheson pour son roman, quand la plupart des critiques lui sortaient du « kafkaïen » à toutes les sauces. Moi-même, c’est la lecture de Matheson qui m’avait inspiré la nouvelle Bernard et Martin, écrite pour Zapoï, et qui se retrouve être le point de départ du roman sur lequel je travaille. D’ailleurs, il y a une nouvelle de Matheson qui est assez proche de ce que je voudrais faire avec ce roman : Au bord du précipice (The Edge, 1958).

5 mai 2015.
            Dans ce roman, je voudrais que le lecteur ait pleinement conscience de la montée de l’angoisse du personnage, de l’évolution de ses émotions au fur et à mesure qu’il prend conscience de la situation, et je me rends compte que ce n’est pas si facile. Évidemment, le fait que je lise les nouvelles de Richard Matheson en ce moment est pour beaucoup dans ce désir d’insister sur la peur. Je veux que le lecteur ressente cette terreur croissante, qui passe par des moments d’éclat et d’abattement.

16 mai 2015.
            Entre deux recueils de nouvelles, je lis un roman de Matheson, La Maison des damnés, qui, pour l’instant, ne m’emballe pas vraiment. Il s’agit d’une sorte de roman gothique, bien qu’écrit au début des années 1970. Un roman gothique à l’ère électrique, donc, mais qui n’en reprend pas moins tous les clichés : la vieille maison hantée entourée de brumes et de marécages, presque inaccessible ; le spiritisme, le vampirisme et l’exacerbation de la sexualité ; sans oublier le scientifique venu prouver que les esprits n’existent pas et que tous les phénomènes paranormaux qui se produisent peuvent s’expliquer de façon logique – scientifique qui devra, bien sûr, s’avouer vaincu tôt ou tard. J’espère qu’à partir de cette trame classique, Matheson apportera dans ce roman quelque chose de résolument personnel et qui me surprendra (comme Stephen King a apporté sa propre version de la « maison hantée » dans Shining, à mille lieues des Mystères du château d’Udolphe), mais plus j’avance dans ma lecture, plus j’en doute…

1er juin 2015.
La lecture des nouvelles de Matheson m’ayant ouvert l’appétit, je me suis offert l’intégrale de la série La quatrième Dimension, dont je revois quelques épisodes ce soir. Bien sûr, tout cela a plus ou moins bien vieilli : ce sont les interventions de Rod Serling venant commenter l’action (qui, en règle générale, n’en a pas besoin) qui donnent un sérieux coup de vieux aux épisodes – en même temps qu’un coup de boule à votre suspension d’incrédulité… Mais enfin, retrouver cette ambiance de la fin des années 50, cette science-fiction contemporaine des débuts de l’exploration spatiale, c’est plutôt touchant. Il y a évidemment des épisodes dont le scénario est cousu de fil blanc, mais dans l’ensemble, c’est assez réussi, et ça préfigure assez bien X-Files, héritier naturel de la Twilight Zone. J’attends évidemment surtout les épisodes basés sur des scénarios de Matheson…

4 juin 2015.
            Projection intégrale des épisodes de LavalSérial ! à L’Avant-Scène.
            Je n’avais pas vu l’intégralité des sept épisodes de la série d’Olivier Guidoux, et les suivre dans la continuité apporte un éclairage nouveau sur son travail. Bien que très différents les uns des autres, les épisodes semblent liés entre eux, et l’humour des situations créées par le réalisateur provoque dans la salle de grands moments d’hilarité. Surtout, le personnage joué par Anthony Moreau acquiert une profondeur qui échappe au visionnage parcellaire des épisodes. Par sa façon d’être en quelque sorte détaché de l’émotion, ou toujours un peu en deça, qu’il s’agisse de l’étonnement ou de la colère, il finit par donner l’impression que tout ce qui lui arrive n’est qu’un rêve, dont il cherche à sortir tout en s’y enfonçant, dans une sorte de sidération constante…

6 juin 2015.
            Le travail d’Olivier pour Laval Sérial m’a donné envie de me remettre à mes écrits sur Laval. Et j’en viens à imaginer la publication d’un livre sur le sujet, une promenade personnelle à travers les rues de ma ville, à travers mes souvenirs – une description émotionnelle de Laval, à la manière de Calet pour les quartiers de Paris… À la manière de ce que j’ai déjà écrit sur le sujet, du reste… J’ai toujours écrit des textes sur Laval, par ci par là, avec la vague intention, un jour, de les rassembler en recueil. Mais il s’agirait, cette fois, d’un travail particulier, structuré autour d’une série d’itinéraires à travers la ville, dans des quartiers qui me sont familiers, ceux où j’ai grandi, ceux où je passe tous les jours… Il n’y a pas de raison qu’il n’y en ai que pour Paris !

9 juin 2015.
            Je n’ai pas pour autant envie d’abandonner mon roman, mais sans doute de le laisser un peu de côté, le temps de m’atteler à ce livre qui, une fois lancé, pourrait avancer assez rapidement. Il y a aussi qu’avec ce projet, je pourrais espérer le soutien de la ville de Laval, ou au moins un suivi de la part des « acteurs culturels » de la ville, comme on dit… Ce qui finit toujours par décourager mes projets, c’est le sentiment d’écrire dans le vide, l’impression qu’au fond, personne n’attend mon livre. Si je pouvais avoir la certitude qu’au moins la ville de Laval soutient mon projet et que sa publication est attendue, je travaillerais avec nettement plus de conviction.

20 juin 2015.
            Lecture du roman de Thomas B. Reverdy, Les Évaporés, qui a le bon goût de traiter de trois sujets qui m’intéressent beaucoup : Richard Brautigan, le Japon et les disparitions volontaires.



28 juillet 2015.
            Je vais assister au Voyage immobile, écrit par Stéphane Hiland et interprété par Laurent Menez, avec Gérald Bertevas pour la musique et les ambiances sonores. Ça se joue au prieuré Saint-Martin, cette magnifique église qui date de la construction de Laval, au début du XIe siècle. Je discuterai bien avec Stéphane de mon projet d’écriture sur Laval, mais j’ai envie d’être déjà lancé dans l’écriture avant d’aller demander un éventuel soutien à la ville.
            Le voyage proposé est lié aux peurs, les peurs légendaires ou historiques des Lavallois donc, et nous sommes invités à nous bander les yeux pour nous laisser envahir par l’atmosphère sonore. Tant pis pour les belles fresques qui ornent l’église : nous partons en voyage. Évidemment, je suis conquis, moi qui suis justement envahi par l’histoire de Laval, et qui retrouve avec plaisir Guillaume Le Doyen, l’évocation de la peste, l’incendie de l’église de la Trinité à cause d’un feu d’artifices, les échos de la Révolution française, et ce délicieux fait divers : le bourreau de Laval, accusé de meurtre et guillotiné par son successeur…

10 août 2015.
            Mon train est à 8 h 46, je prends le TGV jusqu’à Rennes, puis le TER jusqu’à Saint-Malo. Le train file sous le soleil, et l’air marin apporte un peu de fraîcheur. Mon hôtel est à quelques mètres de la gare, boulevard de la République, un petit hôtel, l’Europe (l’Europe, c’est petit), où je me contente de laisser mon sac, puisque ma chambre n’est pas encore disponible. Pierre consacre ses matinées à la rédaction de son Œuvre, et nous avons convenu de nous retrouver à une heure devant l’hôtel Cartier, où il est descendu. En attendant, je rejoins le centre historique à pied, en longeant la plage. La mer est loin, mais je ne suis pas pressé. Je me promène tranquillement, observant les baigneurs échoués sur la plage, comme si la marée les avait laissés derrière elle en se retirant. Au loin, le Fort national, les remparts et la Tour Quic-En-Groigne m’attendent sagement, pas pressés non plus. On va bien s’entendre. L’aquarelliste qui a peint la mer et le ciel semble s’être amusé à les confondre dans le même lavis bleu, pour qu’on ne sache pas vraiment où finit l’une ni où commence l’autre.
            Arrivé « intra-muros », je repère tout de suite l’hôtel de Pierre. Difficile de faire autrement : plus central, il n’y a guère que la cathédrale… Ceci fait, et comme le voyage m’a donné soif, je me mets en quête d’un bar et échoue à la Belle Époque, rue de Dinan. Un troquet qui fait plus « corsaire » que « Belle Époque », d’ailleurs : le sol est recouvert de sable, de vieilles affiches colorées vantent les bienfaits du rhum, et des toitures de paille surplombent le comptoir dont le bois est orné de vieilles pièces de monnaie. Le patron n’est pas un vieux loup de mer à la jambe de bois mais une blonde un peu pas mal. Fille de corsaire, sans doute. Un Coca et quelques notes jetées sur mon carnet plus tard, je quitte le bar et traîne dans la librairie d’occasion qui lui fait face. Je n’achèterai pas de livres ce week-end : en ce moment, je ne manque pas vraiment de lecture. Mais quand une librairie se trouve devant moi, les portes grandes ouvertes, je ne peux pas résister… J’en visite une autre, située un peu plus haut, puis rejoins les remparts.



            Quel génie, ce Vauban ! Quand je me balade dans une ville fortifiée, je retrouve toujours en moi ce gamin qui se prend pour un archer du roy, une sentinelle ou un artilleur, guettant l’ennemi à travers les meurtrières… Les enfants s’amusent à poser à côté des canons, font semblant de viser la plage (aujourd’hui, l’ennemi porte un maillot de bain et des lunettes de soleil, et sa serviette de plage pourrait se révéler une arme de corps à corps des plus dangereuses), et moi aussi, je fixe l’horizon, la main sur le pommeau de l’épée, fier et brave. Les mouettes, elles, s’en foutent bien pas mal, de la guerre et de la poliorcétique. Elles se baladent entre les touristes, elles sont chez elles, elles n’ont peur de rien. La statue de Jacques Cartier est surmontée d’un volatile qu’on croirait sculpté dans le même marbre, et peint en blanc. Sur la Tour Bidouane, selon un gamin, les mouettes « font les stars ». Imperturbables, elles sont prises en photo sous toutes les coutures, aussi placides que des vaches mayennaises (mais plus promptes à s’envoler).
            À l’heure prévue, je retourne au cœur de Saint-Malo, envoie à Pierre un message : « De retour dans ton Cartier », et passe près de lui sans le voir, alors qu’il est en train de faire ses comptes dans son carnet. Avec les saltimbanques qui font leur show sur la place et le public qui les regarde, j’avais la tête ailleurs.
            Nous allons déjeuner dans un petit restaurant, La Dent creuse, qui est un peu sa cantine. Je prends des pennes aux quatre fromages et Pierre une salade. Toute de suite, nous retrouvons nos grandes discussions habituelles, sur les querelles Facebook, sur Nabe, Sollers, Zagdanski, sur le terrorisme, sur l’Amérique, sur Daesh… Je trouve une parade pour ceux qui accusent les Américains d’avoir créé Daesh et leur refusent, à ce titre, le droit de le combattre : « Viktor Frankenstein a créé un monstre, et dès qu’il a vu ce qu’il avait fait, il a cherché à le détruire ! » Nous causons évidemment de Patience, la revue de Nabe, dont le deuxième numéro va sortir, consacré aux attentats de janvier. Il va sans dire que Nabe n’est pas Charlie du tout. Charlie Manson, à la rigueur… Je reviens sur le premier numéro de Patience, dont je n’ai pu dépasser la dixième page tant je l’ai trouvé pousse-au-crime. Nous attendons toujours le fameux livre de Nabe sur le complotisme, après lequel Alain Soral et Dieudonné sont censés se suicider – effet d’annonce piteux qui dynamite d’emblée son œuvre, à mon avis… Pierre a encore un peu l’espoir que ce livre puisse être à Nabe ce que Les Possédés furent à Dostoïevski. Si seulement…
            Après cela, nous retournons sur les remparts. Avec le port à notre gauche et les hautes façades des immeubles à notre droite, et les rues ouvrant de belles perspectives qui invitent l’œil à aller se jeter au loin, dans la mer, nous continuons à bavarder. Pierre me raconte comment Saint-Malo est venue s’imposer dans sa vie, d’abord grâce à Aurora Cornu, à tel point qu’il songe même à venir s’y installer plus tard, quand il aura pris sa retraite. C’est une chose à laquelle je ne songe jamais, moi, la retraite. Sans doute parce que je ne la toucherai pas de mon vivant… Nous causons aussi beaucoup de nos écrits, il me parle de l’amie qui l’a motivé à se mettre à son œuvre en l’obligeant à lui envoyer deux pages par semaine, discipline à laquelle il se plie religieusement, et je lui parle de mon projet de livre sur Laval, qui m’amène à regarder ma ville natale avec les yeux d’un touriste. (…)
            On descend donc sur la plage, et comme la mer est à portée de main, on va se baquer. Je crois que ça ne m’est plus arrivé depuis 1912. Pierre part à l’aventure, Indiana Jones des fonds marin, à la pêche au Léviathan et aux sirènes. Moi, je reste où j’ai pied, me rappelant in extremis que je n’ai pas appris à nager. Quand on a bien fait trempette, on reste un bon moment sur la plage à causer littérature et écriture. Châteaubriant toujours, Simon Leys, Jean-François Revel, Chesterton… Je cause aussi du grand projet de Jean-Yves Jouannais, L’Encyclopédie des Guerres – et d’en parler, d’ailleurs, me donne envie de m’y replonger (au moins, dans la guerre, j’ai pied).
            Nous atterrissons au Saint-Patrick, pour y prendre l’apéro. Pierre m’explique que le Port-Malo, juste en face, fut le fief de Nolwenn quand elle vivait ici. Pierre prend un whisky et moi un Ice-Tea, la boisson sans alcool qui se rapproche le plus du whisky quant à sa couleur, et nous continuons à causer de nos œuvres. Je parle de mon projet sur Laval, mais aussi de mes autres projets en jachère : d’abord de mon livre sur le voyeurisme, que Pierre m’encourage à continuer. Il a raison, évidemment : j’ai un peu freiné sa rédaction (oui, enfin, bon, je l’ai carrément stoppée, quoi !) en me disant que publier ce genre de chose rendrait ma vie un poil plus compliquée qu’elle n’est actuellement. C’est peut-être vrai, mais ça ne l’est pas forcément, et de toute façon, avant de me poser ce genre de question, je n’ai qu’à l’écrire, ce bouquin. Il sera toujours temps, ensuite, de me demander ce que je fais du manuscrit, si je le publie tout de suite, ou si j’attends des jours plus propices… Après cela, j’évoque aussi mon « roman fantastique ». Je parle évidemment de Richard Matheson, ma principale source d’inspiration, et j’apprends à Pierre qu’il est l’auteur de L’Homme qui rétrécit, dont il a vu l’excellente adaptation cinématographique. Il me demande si j’ai lu Robert Walser, qu’il compare, curieusement, à un Kafka « en plus hard ». Comparer Walser à Kafka, oui, mais des deux je n’aurais pas forcément dit que c’était Walser le plus radical… Je lui apprends d’ailleurs la mort magnifique de Walser, seul dans la neige, au bout de sa promenade quotidienne…
            On va dîner au P’tit Crabe, et ce sera le mauvais choix du jour. Il en fallait un, évidemment, sinon le week-end aurait été trop parfait. Petite crêperie sans aucun charme, avec la cuisine visible depuis la salle, un serveur en marcel aux cheveux peroxydés, qui nettoie notre table avant qu’on ne s’y installe, et pourtant cette table restera collante, douteuse… Les galettes sont bonnes, mais pas inoubliables non plus. Pierre me dit le plus grand bien de la traduction de Crime et châtiment par Markowicz, et décidément, j’en viens à penser qu’il va me falloir un jour remplacer tous mes Dostoïevski en Folio par leur équivalent en Babel, traduits par ce gars là. « J’ai l’impression que Raskolnikov hurle à toutes les pages », me dit Pierre. J’achèterai des boules Quiès en même temps.
            Après cela, on termine la soirée au quartier général de Pierre, à L’Excalibur, un bar qui fermera ses portes bientôt, au grand dam de mon ami. Je me contenterai d’un jus d’orange, Pierre de quelques marcassins (un peu comme Obélix quand il n’est pas dans son assiette). Là, on reprend la discussion du début de l’après-midi, sur les écrivains de la génération Tel Quel et ceux qui ont suivi : Sollers, Nabe, Zagdanski. Pierre constate que Nabe, qui conchie la culture dans toute son œuvre, est un auteur très « culturel », justement. Commencer son premier, roman, Le Bonheur, par un monologue féminin s’ouvrant sur le mot « non », pour répondre au monologue final de Molly Bloom dans Ulysse qui s’achève sur le mot « oui », c’est très culturel. De même que commencer Alain Zannini par une phrase parodiant le « nel mezzo del camin di nostra vita » de Dante. Et le problème de Nabe, qui a pourtant beaucoup d’humour, c’est qu’il veut voir dans tous ces clins d’œil des coups de génie. Quand il écrit L’Homme qui arrêta d’écrire, excellent roman par ailleurs, et qu’il le fait en réécrivant La Divine Comédie, c’est très bien, mais il y a certaines facilités, comme de nommer un personnage Virgile et de le faire jouer à un jeu vidéo appelé Inferno, ou d’inscrire au fronton d’un magasin H&M « Vous qui entrez ici, n’espérez pas ressortir les mains vides », qui tiennent de la simple blague ! Un peu comme Beigbeder écrit, dans L’Égoïste romantique : « 11 septembre 2011. Attentat à New York. Après-midi piscine. » pour parodier Kafka ! À ceci près que Beigbeder, lui, ne prétend pas faire autre chose à cet endroit-là que de l’humour…
            Cette conversation nous suit, à moins que ce ne soit nous qui la suivons, jusque sous les remparts, après que Pierre, ayant voulu fumer son cigare à l’endroit où il le fait habituellement, place du Pilori, a décidé qu’il le ferait plus loin, parce qu’il y avait trop de monde. Et sous les remparts, devant les mâts des bateaux se balançant dans le port, nous causons surtout de Zagdanski et de son Pauvre de Gaulle !, de son Céline seul, de son Proust, de l’ensemble de son œuvre dans laquelle il prétend sans cesse qu’il va écrire LE livre définitif sur telle ou telle grande figure, et soit écrit un livre indigeste qui présente un Céline, ou un Proust, qui n’existent que dans sa tête (l’argument de Céline seul étant que tout le monde est antisémite, sauf Céline, et celui du Sexe de Proust que Proust était un hétérosexuel refoulé, on applaudit bien fort), soit ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes. Son livre sur De Gaulle, qu’il présente comme un pamphlet génial qui remet les pendules à l’heure dans un monde entièrement voué à la gloire de notre Grand Timonier à nous, m’avait amusé, c’est vrai, lorsque je l’avais lu. Mais sa vision de De Gaulle, c’était à peu près celle que j’avais toujours eue, héritée d’une éducation de gauche… Rien de nouveau sous le soleil… D’ailleurs, il commence à pleuvoir. On parle encore un peu de Léon Bloy, et puis la pluie nous fait comprendre que ça suffit comme ça, les discussions littéraire, y’en a marre. Nous nous séparons, et je rentre à l’hôtel sous la flotte. 



28 août 2015.
            Plongé depuis quelques jours dans le dernier Jaenada, La petite femelle, consacré à Pauline Dubuisson. Un nouveau livre de Jaenada, c’est toujours une bonne nouvelle : voilà un auteur qui, jusqu’à présent, ne m’a jamais déçu. Dès le début, il nous fait l’aimer, cette femme magnifique qui a été brisée par la société de son temps. « La ravageuse », « la hyène », toutes les insultes lui sont tombées dessus, crachées par les journalistes comme par les juges, qui ont dressé d’elle un portrait inventé de toute pièce, qui ont créé une Pauline Dubuisson qui n’existait que dans leurs fantasmes, une sorte de double monstrueux – et Jaenada est allé disséquer la créature pour retrouver la petite fille, la « petite femelle », qui se cachait en elle.
            J’avais lu pas mal de choses sur Pauline Dubuisson. Je ne m’étais jamais vraiment intéressé à elle, mais j’avais lu des choses, comme j’ai lu des choses sur de très nombreux criminels, et sur quelques criminelles. Je crois, d’ailleurs, que je la confondais plus ou moins avec Violette Nozières.

1er septembre 2015.
            Premières impressions sur Fear the Walking Dead. Je crains que la première saison de ce spin-off ne souffre du même problème que la première de The Walking Dead : réduite à six épisodes, elle risque de se contenter de planter le décor, de présenter les protagonistes et de s’achever, finalement, au moment où les choses commencent à devenir intéressantes.
            Il y a une scène qui sonne particulièrement faux, un vrai stéréotype dans le genre « je sais tout mais je ne dirai rien ». L’un des personnages principaux, proviseure dans un lycée, amène dans son bureau un lycéen qui se promène avec un couteau. Le gamin, rondouillard et bien entendu geek, a l’air d’en savoir plus long que les autres sur cette étrange épidémie de « grippe » qui semble s’étendre dans la ville. Et, alors qu’il se trouve face à une personne qui semble compréhensive et prête à l’écouter, il se contente de sortir des phrases sibyllines du type : « On est plus en sécurité en groupe », « Ils ont dit que ce n’était pas lié, mais c’est faux »… J’ai trouvé la séquence complètement bidon, la proviseure, finalement, concluant d’un simple : « Tu devrais passer moins de temps sur Internet ». Je suppose que le spectateur, devant cette scène, est censé se dire : « Ce gamin a tout compris mais personne ne veut l’écouter », alors qu’il avait tout loisir de s’expliquer et qu’il n’a tout simplement rien dit.
            Peut-être aussi que cette scène se voulait parodique et que c’est moi qui cherche la petite bête – après tout, ce n’est que du zombie movie – mais c’est le genre de dialogue que je trouve absolument artificiel et qui a le don de plomber complètement mon immersion…

10 septembre 2015.
            Lecture du livre de Thomas Clerc consacré au Xe arrondissement de Paris, qu’il décrit rue par rue, avec une précision d’arpenteur. C’est vraiment une tentative d’épuisement de cet arrondissement, pas tout à fait ce que je compte faire avec mon propre livre, mais je ne peux pas m’empêcher d’étudier sa façon de procéder…

13 septembre 2015.
            Je consacre ce dimanche à mon projet sur Laval, et j’écris près de six mille signes, ce qui me procure une grande satisfaction. Dans ces moments-là, j’en viens complètement à oublier que je dois absolument trouver un emploi rapidement, et que ça signifie, certainement, faire un job que je n’aime pas, qui me prendra beaucoup de temps et m’empêchera de me consacrer à ce qui compte réellement : l’écriture. C’est dans l’écriture que j’éprouve vraiment la satisfaction du travail bien fait, quand j’achève un article, une nouvelle, que j’avance dans un projet plus vaste… Malheureusement, c’est sans doute la seule chose que je sache vraiment faire, et c’est celle qui ne me rapporte rien.


19 septembre 2015.
            D’habitude, je ne m’intéresse pas beaucoup aux journées du patrimoine. C’est un tort, sans doute. J’ai décidé de faire des efforts cette année, surtout à cause de mon Grand Projet. Je commence par visiter les archives municipales, où je n’avais encore jamais mis les pieds, à tel point que j’ignorais même où elles se situaient – au 1, rue Prosper-Brou, juste après le pont de chemin de fer de la rue Solférino. Nous suivons la guide à travers les différents magasins (cinq en tout) qui constituent les réserves des archives. Le dernier magasin que nous visitons est rempli d’ouvrages très anciens appartenant au fonds Lorrain-Portemer, et l’archiviste nous montre le plus ancien document en sa possession : une Bulle apostolique sur la règle de Sainte Claire datant de 1651. Puisqu’il semble qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une carte pour faire des recherches aux archives municipales, j’y retournerai certainement pour travailler à mon livre…
Je me rends ensuite au musée du Vieux-Château, pour voir l’exposition Jean-Baptiste Messager avant qu’elle ne s’achève. J’admire les techniques de dessin de Messager – depuis ses esquisses à la mine de plomb, souvent rehaussées de gouache, jusqu’à ses huiles – et j’admire surtout son obsession. Combien de fois il aura croqué les rives de la Mayenne, du côté d’Avesnières, le château, les vieilles maisons de la Grande-Rue !... C’est de cette obsession et de cette minutie que je dois me faire l’héritier, moi qui veux « peindre » Laval aujourd’hui… Je découvre également le photographe Benjamin Pépin, qui œuvrait au tout début de l’histoire de la photographie (c. 1860 !), donc à la même époque que Messager. Il y a d’ailleurs, dans cette exposition, une photo de Pépin et une mine de plomb de Messager qui représentent exactement la même vue de la vallée Saint-Julien. Une vue du viaduc depuis le palais de justice par Pierre-Ambroise Richebourg (XIXe siècle) montre la future place du Onze-Novembre – qui devait encore s’appeler place de la Chiffolière – couverte d’arbres.

20 septembre 2015.
            Je lis Il était une ville, de Thomas B. Reverdy, autre roman de la rentrée que je ne voulais pas rater. Le titre est un peu plat, mais j’apprécie la manière qu’a Reverdy d’installer ses personnages, d’amener la fiction. Rien de révolutionnaire, mais il sait créer un cadre dans lequel les événements vont avoir toutes les chances de se produire, amener un climat propice à la catastrophe…
            Parfois, je me sens handicapé dans mon écriture, limité, je sens qu’il y a des choses que je « ne sais pas faire ». Je devrais pourtant avoir dépassé ces incertitudes, depuis le temps que j’écris, mais j’ai encore trop souvent l’impression de ne pas – ou plus – savoir écrire. Il y a des moments où la lecture me donne envie d’écrire, et d’autres moments où elle me décourage, me donne l’impression que je ne saurai jamais « faire ça ». Je suis une éponge, quand je démarre un projet ambitieux, je m’imprègne de tout, mais je deviens aussi sensible à tout – à ce qui nourrit mon écriture comme à ce qui la décourage, la freine… Ce n’est d’ailleurs pas vraiment le cas du roman de Reverdy, je décris un sentiment plus général…



23 septembre 2015.
            Lecture d’Un livre blanc, de Philippe Vasset, qui se passionne pour les zones blanches des cartes. « Qu’y a-t-il dans ces lieux théoriquement vides ? Quels phénomènes ont été jugés trop vagues ou trop complexes pour être représentés sur une carte ? Pourquoi ces occultations suspectes ? » Alors, il part se perdre dans ces zones, où il fait parfois de mauvaises rencontres, et dont il essaie de donner une description, une identité définitive, tout en constatant qu’il s’agit bien souvent de territoires voués à une disparition ou à une réhabilitation future. Et ce livre, très bref, est aussi un constat de la difficulté, voire de l’impossibilité, à dire ces zones – à dire la ville.

24 septembre 2015.
            Je manque vraiment de méthode pour travailler à mon projet sur Laval. Malgré les photos prises la première fois que je suis allé me promener là-bas et tout ce que j’ai pu noter sur mon carnet, j’ai dû retourner faire des repérages rue Franche-Comté et prendre de nouveau un tas de notes. Il s’agit là de la première « promenade » que je compte écrire, qui suit l’ancienne voie romaine reliant la Bretagne à Paris, et qui correspond à un itinéraire allant à peu près de la rue Saint-Jean à la rue du Mans. Je ne me suis pas amusé à mesurer la distance, mais je dirais qu’il y en a pour 2,5 km, quelque chose comme ça. Maintenant que je me suis lancé dans la rédaction, je me rends compte à quel point ce travail va être compliqué. Je dois absolument établir mes itinéraires à l’avance et m’arranger pour n’avoir à parcourir le terrain qu’une fois, deux à la rigueur. Passe encore pour le centre-ville que je traverse tous les jours, ou les quartiers d’Hilard et de Bel-Air où j’habite, mais je ne peux pas me permettre de retourner à chaque fois sur les lieux pour vérifier si c’est la porte du n° 17, ou celle du 19, qui est surmontée d’une poutre ouvragée ou d’un balcon Louis XIV, quand Google Maps ne peut pas me renseigner là-dessus…
            Pourtant, je ne dois pas perdre de vue l’idée que ce projet doit être une invitation à la flânerie. Je suis tenté par l’exhaustivité, mais je dois conserver mon regard de dilettante. Évoquer l’histoire sans être scolaire, surtout – et accepter, aussi, de ne pas tout remarquer.
            La « tentative d’épuisement » est un genre qui m’intéresse, évidemment, mais je ne dois pas oublier que c’est avant tout les errances parisiennes d’Henri Calet que j’avais en tête, quand j’ai commencé à écrire sur mes promenades lavalloises, d’abord sur mon blog, avant même de songer à ce livre…
            Comment raconter la ville ? J’en suis à me poser cette question qui a animé tous les auteurs que Philippe Vasset recense dans son Livre blanc : François Maspéro, Iain Sinclair et son London Orbital, François Bon et son Paysage Fer, Jean Rolin et La Clôture… Auxquels j’ajoute, donc, Thomas Clerc et son Paris, musée du XXIe siècle, et Perec, évidemment…
            En choisissant des itinéraires de promenade, je renonce à l’exhaustivité. Il y aura, fatalement, des rues dont je ne parlerai pas, parce qu’elles ne feront pas partie de l’itinéraire, parce qu’il n’y aurait aucune logique à revenir sur mes pas pour les emprunter. Cela m’oblige à des choix qui m’inquiètent : comment décider de sacrifier telle ou telle rue ? Je n’ai pas encore vraiment réfléchi à la question (je commence demain). Thomas Clerc, quand il s’est attaqué au Xe arrondissement de Paris, a procédé par ordre alphabétique. C’est exactement ce que je ne veux pas faire pour Laval, d’une part parce que ça a déjà été fait deux fois – par Olivier Chiron au début du XXe siècle et par Gilbert Chaussis dans les années 90 – et que ça va bien comme ça. Et d’autre part, parce que l’ordre alphabétique ne dessine pas une ville, il isole chaque rue en l’amputant de ses embranchements, en l’exilant de son quartier, de son faubourg… Je veux (je voudrais) que le lecteur comprenne quel chemin il parcourt quand, partant de la rue Saint-Jean, il rejoint le centre par la rue des Bouchers, la rue de Franche-Comté, la rue de Rennes, traverse le Carrefour aux Toiles et grimpe la rue Renaise pour entrer dans le Vieux-Laval, redescendre vers la rivière par la Grande-Rue, traverser le Vieux-Pont, etc., et qu’il passe successivement devant l’église Saint-Martin, celle des Cordeliers, la cathédrale, le château, l’église Saint-Vénérand…
            J’aimerais que le lecteur qui ne vit pas à Laval (le lecteur de province) puisse se faire, en me lisant, une assez bonne idée de la ville – c’est pas gagné – et que le lecteur mayennais puisse éprouver l’envie de redécouvrir la ville en se baladant, mon livre à la main. Allez, c’est ça : quand tout sera fini, je veux voir des tas de Lavallois avec mon bouquin dans les rues !

3 octobre 2015.
            Il est quand même très fort, cet Alexandre Astier. Je regarde son Exo-conférence, qui vient de sortir en DVD et que j’attendais depuis longtemps : parodie de conférence à l’américaine destinée à « régler la question de la vie extraterrestre ». Astier a vraiment trouvé son style, ce mélange d’humour et de considérations scientifiques ou culturelles pointues ; une manière bien à lui d’éveiller la curiosité de son auditeur et de lui apprendre des choses sans jamais cesser d’être drôle, et sans jamais verser dans la pédagogie façon « apprendre en s’amusant ». Il a fait énormément de recherches pour ce spectacle, il a interrogé des astrophysiciens, des spécialistes des phénomènes atmosphériques non-identifiés, et toutes ces connaissances passent merveilleusement bien dans cette conférence dont on ressort avec l’envie de scruter les étoiles. Manque de pot, depuis ma fenêtre, le ciel se fait toujours trop petit.

5 octobre 2015.
            Fringale de science-fiction depuis quelques jours, moi qui n’ai jamais été très porté sur ce genre quand j’étais jeune. C’est sûrement lié à la lecture de Matheson, même si la science-fiction n’a jamais été son genre de prédilection, et le visionnage du spectacle d’Astier n’a rien fait pour arranger les choses. Bref, après avoir terminé La Guerre des Mondes, que je n’avais jamais lu – c’est dire si je suis en retard dans ce domaine – je commence la lecture de Seul sur Mars, d’Andy Weir. Le style de l’auteur est plutôt médiocre (à moins que ce ne soit la traduction qui ne lui rend pas justice), mais l’aspect « survie en milieu hostile » m’intéresse, alors pourquoi pas…



9 octobre 2015.
            Le problème, avec ce roman d’Andy Weir, ce sont les personnages, qui ne sont tous définis que par un ou deux critères répétés inlassablement. La femme qui commande l’équipage qui a quitté Mars précipitamment en laissant pour mort l’un d’entre eux se résume à deux choses : elle culpabilise d’avoir abandonné cet astronaute, et elle est fan de disco. Ça fait maigre sur le CV. Mark Watney lui-même, le biologiste qui se retrouve seul sur Mars, donc, ne nous apprend rien de très consistant sur sa vie avant cette mission. Il n’est pas marié, n’a pas d’enfants (c’est pratique), et comme les astronautes sont entraînés à réagir rapidement et avec sang-froid à n’importe quelle catastrophe, on ne peut pas dire qu’on tremble beaucoup pour lui : on sait qu’il va gérer les problèmes. D’autant plus que c’est son journal de bord que tient le lecteur. Les événements dramatiques qui pourraient constituer un peu de suspense sont donc racontés après coup. Ce n’est pourtant pas une mauvaise histoire, mais j’ai eu le sentiment désagréable, en le lisant, d’avoir une ébauche sous les yeux, quelque chose qui aurait pu être pas mal si son auteur avait pris la peine de l’écrire…
  
3 novembre 2015.
            Il y a déjà plusieurs semaines que je me suis replongé dans Bivouac sur la Lune, le livre que Norman Mailer a consacré à la mission Apollo 11.
            Le premier pas de l’homme sur la Lune a été consacré.
            « Dans le silence, Aldrin prit le pain, le vin et le calice qu’il avait apportés dans son sac d’effets personnels et il les déposa sur la petite tablette devant l’ordinateur du système d’interruption de navigation. Puis il lut quelques passages de la Bible et célébra la communion. “J’aurais voulu observer comment le vin coulait dans cet environnement, mais le moment n’était vraiment pas approprié. La façon dont il coulait dans le calice n’avait pas d’importance ; ce qui importait c’était que le vin fût dans le calice.” – Et aussi on peut le supposer de ne pas renverser ce saint sang du Seigneur. »
            Plus loin, Norman Mailer note les impressions de Buzz Aldrin après l’alunissage :
            « Un ciel noir de minuit et pourtant sur le sol lunaire, “on pourrait presque retrousser ses manches de chemise et se faire bronzer, devait dire Aldrin. Je me rappelle avoir pensé : ‘Bon sang, si je ne savais pas où j’étais, je pourrais croire que quelqu’un a créé ce paysage quelque part dans l’Ouest pour nous faire effectuer encore une simulation.’”
            Dans le désert du Nevada, avec Stanley Kubrick à la caméra ?

5 novembre 2015.
            Soirée cinéma, devant l’adaptation de Seul sur Mars par Ridley Scott. Un film assez quelconque adapté d’un livre assez quelconque : je ne m’attendais pas, de toute façon, à une grande surprise. Il reste que je trouve l’idée de base du roman intéressante, mais son exploitation décevante. Au fond, du début à la fin, l’astronaute oublié sur Mars ne semble jamais vraiment inquiet de son sort, il paraît toujours maîtriser la situation, et comme il ne s’agit pas non plus de faire un film sur la solitude, cette histoire donne l’impression de n’avoir aucun enjeu réel. Ce n’est pas un mauvais film, c’est juste un film banal…

8 novembre 2015.
            Levé tard. Je suis nettement plus fainéant que les agents du RAID, qui ont pris d’assaut une maison de Saint-Denis dès quatre heures du matin, pour y tenir un siège de plus de sept heures. Dans ces moments-là, j’ai toujours en tête l’image du siège de Choisy-le-Roi durant lequel est mort Bonnot. Il faudrait, un jour, faire une étude comparative de tous ces forts Chabrol qui hantent la mémoire de la police, et la nôtre…

25 novembre 2015.
            Eh bien ! Les relations internationales s’améliorent, ça fait plaisir… La Turquie ayant descendu un chasseur russe qui « violait » son espace aérien et livré son pilote à la Syrie, nous voilà dans une situation qui n’est pas sans rappeler celle de l’Europe au lendemain de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand. À ceci prêt que c’est encore plus bordélique que ça : c’est exactement comme si, en 1914, l’Allemagne, notre ennemie, avait fait partie de la Triple-Entente ! Au moment même où nous nous allions avec la Russie pour combattre Daesh, la Turquie, qui en temps que membre de l’OTAN est officiellement notre alliée, se range du côté de Daesh et attaque la Russie. Ah ! L’OTAN… Ce machin censé nous garantir la paix et qui risque de nous précipiter dans une guerre absurde… Si vis bellum para pacem !

28 novembre 2015.
            J’envie ceux qui y voient clair dans ce qui se passe du côté de la Syrie. En ce qui me concerne, plus les jours passent, et moins je vois de solutions au problème. Y aura-t-il de la guerre à Noël ?
J’ai du mal à comprendre le raisonnement de ceux qui se contentent de rappeler que la France a longtemps engraissé les pays du Moyen-Orient qui nous prennent pour cible aujourd’hui (oui, certes, et alors ? Si un armurier se fait tuer par le revolver qu’il vient de vendre, cela reste un meurtre, non ?), et qui semblent plus préoccupés par l’état d’urgence que par les djihadistes… Sans doute que nous payons pour notre impérialisme forcené et notre habitude à fourrer « notre gros nez démocratique dans leurs affaires de merde moyenâgeuse », comme le dit Pierre sur son mur Facebook. Mais ce sont aussi nos « valeurs » républicaines que Daech vise : nos lois sur le voile, notre laïcité, notre politique d’intégration… Tôt ou tard, de toute façon, ils nous auraient attaqués. Alors, est-ce qu’envoyer des avions bombarder Raqqa revient à participer au déchaînement de violence ? C’est possible, bien sûr : ces représailles entraîneront d’autres représailles, qui entraîneront d’autres représailles… Mais si nous ne faisons rien, comment espérer en finir avec Daech ? Je vois bien les discours sociaux qui tenteront de nous faire avaler que c’est en ouvrant des écoles et en travaillant avec les jeunes des banlieues que l’on vaincra les terroristes… Oui, bien sûr, peut-être que sur le long terme, cela aura quelques effets positifs, mais que doit-on faire maintenant ? Le jour où un djihadiste me menace d’une kalachnikov, je veux bien lui faire un cœur avec les mains, mais je ne suis pas sûr que ça l’attendrisse…
            Je lis justement le 1914 de Jean-Yves Le Naour – premier tome de son essai historique sur la Première Guerre mondiale – et suis plus que jamais intéressé par les prémices de la guerre. C’est d’autant plus intéressant qu’en 14, la guerre est vraiment arrivée comme un cheveu sur la soupe, le prétexte de la mort de l’archiduc François-Ferdinand ayant été particulièrement fallacieux. Ce n’était pas tant l’Autriche-Hongrie qui avait envie de faire la guerre, que la Russie et l’Allemagne – et le gouvernement français a été pour ainsi dire mis devant le fait accompli. Et tout en lisant, je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec ce qui est en train de se passer, notre attente presque hébétée de ce qui pourrait encore arriver de pire que ce qui s’est produit ces derniers jours… Bientôt, cela aussi fera partie de l’Histoire, comme la Grande Guerre, et on pourra beaucoup mieux définir les responsabilités de chacun, les erreurs commises et leurs répercussions – mais pour l’instant, il faut naviguer à l’aveugle, tâtonner… et bienheureux celui qui arrive à se montrer clairvoyant dans tout ce merdier !



2 décembre 2015.
            À chaque époque ses amalgames ! La « chasse aux allemands » qui s’engage un peu partout en France, dès les premiers jours d’août 1914, les bons citoyens français allant méthodiquement défoncer les vitrines des boutiquiers aux noms à consonance un peu trop germanique, ou casser la gueule du voisin à l’accent un tantinet étranger, résonne bizarrement dans cette « actualité » pour le moins troublée. Le Naour évoque des anecdotes parfois atroces, mais aussi des procédés beaucoup plus amusants, tels que les changements de toponymie systématiques, la rue d’Allemagne étant rebaptisée rue Jean-Jaurès, la station Berlin devenant « station Liège », etc. Jusqu’aux friandises qui changent de noms, les berlingots devenant des parigots…

3 décembre 2015.
            Une chose, tout de même, qui a changé depuis 1914 : le ton des journaux ! En août 14, tous les journaux s’accordaient pour dire que nos joyeux poilus allaient de victoire en victoire et que les Boches crevaient de faim et subissaient des pertes considérables, alors que c’était le contraire qui était vrai : les Allemands avançaient comme un rouleau compresseur en direction de Paris quand la presse française prétendait qu’ils reculaient partout. Aujourd’hui, tout de même, les journalistes ne croient pas leurs lecteurs aussi naïfs. Aucun n’aurait le culot de prétendre qu’en nous lançant dans une guerre contre Daech, nous avons toutes les chances de vaincre, et avec le sourire. Au contraire, chaque quotidien, d’un bord ou de l’autre, pèse le pour et le contre, évalue nos chances… et aucun, à ma connaissance, n’a cherché à cacher cet élément qui serait hilarant s’il n’était aussi tragique (et réciproquement) : l’État français ayant vendu ses bombes à l’Arabie Saoudite, il doit en commander aux États-Unis, qui ne peut lui en fournir pour l’instant… Une information de ce genre, en 1914, aurait été immédiatement censurée, et si un journaliste avait tenu à la faire connaître par tous les moyens, il serait passé en conseil de guerre vite fait bien fait… En 2015, nous sommes certains d’une chose : notre armée est totalement incompétente, et la guerre qui s’engage, et dont personne ne veut, est perdue d’avance. Voilà de quoi nous rassurer pour les fêtes !

13 décembre 2015.
Alors que tout le monde suit les résultats des élections régionales, je vais voir Le Pont des espions, le dernier Spielberg, au cinéma. Un film très bien mené, le duo Tom Hanks/Mark Rylance est impeccable, et je dois avouer que les premières images m’ont conquis tout de suite, notamment les décors de Brooklyn dans les années 60, et la scène qui voit Rudolf Abel (Mark Rylance) peindre son autoportrait. Je suis souvent touché par le geste du peintre ou du dessinateur dans un film…