jeudi 18 septembre 2014

L'île




L’homme qui écrit un livre, c’est Robinson dans son île : il faut qu’il fasse tout lui-même.
Léon-Paul Fargue

            Il y en aura toujours un pour vous poser la question : « Sur une île déserte, quel livre emporterez-vous ? » La réponse du petit malin qui ne veut pas se mouiller : un guide de survie en milieu hostile, ou alors carrément Robinson Crusoé. Très mauvaise idée, ça, Robinson Crusoé : quand il fait naufrage sur son île, le héros de Daniel Defoe commence par aller chercher sur l’épave de son navire tout ce qui pourra lui servir à établir un camp de base. Si vous vouliez y apprendre comment se débrouiller à partir de rien, à partir de ce que la nature vous donne, c’est loupé. Il aurait mieux valu vous taper avant de partir en voyage l’intégrale de la série Man VS Wild, vous auriez eu l’air un peu plus dégourdi…
            Quant à moi, je ne me suis pas constitué une bibliothèque d’un millier d’ouvrages pour y renoncer au profit d’un seul à emmener avec moi sur une île déserte. De toute façon, je n’aime pas les îles. Moi, perdu sur un caillou entouré d’eau sans une seule librairie, sans une seule jolie fille à mater, ce n’est pas un livre qu’il faut que j’emporte – c’est une corde.
            Et puis d’abord, les îles désertes, ça n’existe plus. Si vous pensez réellement être seul sur votre île, c’est que vous ne l’avez pas explorée à fond : en cherchant bien, vous auriez fini par le trouver, le grand hôtel avec piscine et vue sur la plage infestée de touristes. Si vous êtes tombé sur un bout de terre totalement vide d’êtres humains, c’est que vous n’avez vraiment pas de bol…
            L’île déserte, c’est un truc d’écrivain. (Et paf ! Vous avez vu comme je retombe toujours sur mes pattes hebdomadaires ? La semaine prochaine, je vous expliquerai aussi que la glace à vanille ou, je sais pas, la veste en velours côtelé marron, c’est un truc d’écrivain…)
            L’île déserte, donc, c’est un truc d’écrivain. Déserte pour les uns, ou mystérieuse pour les autres. Parfois pas suffisamment déserte, d’ailleurs. Il suffit qu’on y ait placé un docteur Moreau adepte de la vivisection et des expériences en tous genres sur les animaux pour que déjà, vous regrettiez la solitude…
            Imaginez un peu ça : l’île, c’est une page blanche. Tout est à inventer. Étant donné une île, que se passe-t-il dessus ? Le B.A.-ba du scénario, avec ça vous faites King Kong, Les Chasses du Comte Zaroff, Lost… Sur son île, Stevenson a ajouté un trésor, et tout un contingent de pirates avides. Jules Verne y a planté des hélices, ou encore les enfants du Capitaine Grant…
            Au fond, le principe est d’une simplicité enfantine : un bout de terre perdu quelque part dans l’océan. Le héros y débarque par hasard. Par quelle sorte de hasard ? Est-il seul ou fait-il partie d’un groupe ? Et cette île, est-elle habitée ou non ? Vous voyez, c’est l’idéal : on dirait un sujet pour atelier d’écriture ! Vous pouvez aussi vous amuser à transposer ça dans l’espace : s’il y a encore un endroit peu exploré, c’est bien celui-là ! Méfiez-vous quand même : peu exploré dans la réalité, peut-être – mais la fiction, par contre, a déjà constitué un atlas détaillé, faune et flore comprises, depuis Bételgeuse jusqu’aux confins de l’hyperespace. C’est une chose d’aller y semer vos astronautes de papier, encore faut-il qu’ils y trouvent du nouveau…
            C’est assez curieux que ce concept d’île déserte fonctionne encore aussi bien aujourd’hui. Il est fini, le temps des grands explorateurs. Toutes les terres à découvrir ont été découvertes, de nos jours, peu ou prou. Et pourtant, c’est toujours un élément de fiction qui « marche ». On s’y fait prendre. Mince alors, Machin vient de se réveiller sur une île perdue au milieu de nulle part. Et comme par hasard, elle a l’air particulièrement hostile. Maintenant, il faut survivre. Parce que finalement, ce qui intéresse le plus les lecteurs, en ces temps d’apocalypse, c’est cette idée de survie. L’île, on s’en fout un peu. Toutes les roches se ressemblent, toutes les forêts dissimulent les mêmes dangers – ce qui compte, c’est manger, boire, se protéger des bêtes sauvages et s’abriter. Ça s’accorde parfaitement avec nos fantasmes de fin du monde : quand la grande catastrophe arrivera, il faudra bien apprendre à tout réinventer pour survivre. Étant donnée une île infestée de zombies, que se passe-t-il dessus ?     
Si en plus il n’y a pas de réseau, on est mal barré… Parce que c’est pas en emportant un livre  que vous vous en sortirez !

1 commentaire:

Pierre Driout a dit…

Est-ce qu'on peut emporter ses complexes sur une île déserte ?