Oui, cela
pourrait commencer ainsi, ici, comme ça, d’une manière un peu lourde et lente,
dans cet endroit neutre qui est à tous et à personne…
Georges Perec, La
Vie mode d’emploi
La
plupart des écrivains vous diront qu’écrire, ça ne s’apprend pas. On est
écrivain de naissance, comme certains naissent boiteux, nains ou banlieusards. Écrivain, c’est le contraire de
femme, merci Simone : on ne le devient pas, on naît comme ça. Ça peut se
révéler tardivement, bien sûr, mais enfin, c’était déjà en vous. Vous n’avez
jamais pris de cours d’écriture, vous vous êtes contenté de lire les bons
auteurs et de vous mettre au travail. Et tout ça sans grossir, c’est très bien,
bravo, je vous félicite. D’ailleurs, les écrivains qui avouent avoir participé
à des ateliers d’écriture avant de publier leur premier roman sont discrédités
d’emblée à vos yeux. S’ils ont eu besoin de prendre des cours, c’est qu’ils ne
sont pas écrivain, c’est aussi simple que ça.
Ah.
Voilà qui est intéressant.
Personne
ne s’étonnera d’apprendre qu’un grand peintre a commencé par suivre des cours
de dessin avant de créer son œuvre, ou qu’un grand compositeur a d’abord passé
des années au conservatoire. Le dessin s’apprend, la flûte à bec aussi. Mais
l’écriture, c’est inné. Il suffit d’apprendre l’alphabet et de retenir quelques
mots de vocabulaire, a priori rien de compliqué. Si en plus vous vous êtes
acheté un Gradus, vous pourrez peut-être même placer un hypallage discret
quelque part, ou jongler avec les zeugmas et les anacoluthes (ne vous inquiétez
pas, ce n’est pas contagieux).
Encore
une fois, les Américains ont moins de complexes que nous sur cette question.
Gloire à eux : s’ils n’étaient pas là, nous serions tous en Germany, comme
disait Victor Hugo. Aux States, n’importe qui peut prendre des cours
d’écriture, et pas simplement en atelier, mais à l’université ! On vous
apprend à écrire des œuvres de fiction, on vous lit, on vous corrige… N’étant
pas beaucoup plus américain que vous, je ne sais pas si « ça
marche ». Je veux dire que j’ignore si les écrivains qui sont passés par
ces cours auraient écrit leurs livres de la même façon sans cela. Je pense, en
tout cas, que ces cours d’écriture doivent faire gagner un temps précieux
lorsque l’heure est venue de se mettre au boulot sur son premier vrai manuscrit. L’apprenti écrivain qui
n’a jamais suivi d’ateliers se condamne, lors de sa première véritable plongée
dans l’écriture, à passer par toutes les incertitudes, toutes les erreurs qui
lui auraient peut-être été épargnées dans le cas contraire.
Il
semble logique, quand on débute dans le métier, de se chercher un guide, un
« maître », et la plupart des auteurs professionnels reçoivent
quantités de lettres de lecteurs qui voudraient, eux aussi, se lancer dans la
littérature et qui recherchent des conseils, une méthode de travail... Ce qu’un
atelier d’écriture est censé apporter. Si les écrivains, en France, donnaient
des cours comme le font leurs homologues américains, ça leur ferait peut-être
un peu moins de courrier. Et surtout, leurs conseils seraient rémunérés.
En
France, les ateliers d’écriture commencent timidement à s’implanter.
Malheureusement, beaucoup sont constitués de séances brouillonnes durant
lesquelles un gentil animateur vous apprendra à faire rimer fleur avec bonheur et à rédiger des lipogrammes en w. Trouver le bon atelier dirigé par un vrai connaisseur est encore
assez difficile. Sinon, il y a les livres. Tous les ans sont publiés des
manuels prétendant vous apprendre à écrire. Là encore, il faut séparer le bon
grain de l’ivraie…
Au
fond, c’est toujours le même problème : l’écrivain français se soucie un
peu trop de son apparence. Avouer à ses amis germanopratins qu’on a suivi un
atelier, ça fait piteux. Aussitôt, on se sent rabaissé au niveau du plumitif
sans avenir, sans intérêt – de l’écrivain de province. (Oui, il y a plein
d’écrivains de province, beaucoup plus que d’écrivains parisiens, mais
l’expression continue de sonner comme une insulte, vous ne trouvez pas ?)
Ce n’est pas tout d’avoir publié son livre chez Gallimard, encore faut-il
porter une écharpe de la bonne couleur. Et ne pas demeurer trop longtemps
blogueur, parce que ça aussi, c’est mal vu, les blogueurs qui finissent par se
faire éditer. Commencez plutôt par être écrivain, et ensuite ouvrez un blog, vous
aurez l’air moins bête.
Mais
bon, moi je vous dis tout ça, mais je n’ai jamais mis les pieds dans un atelier
d’écriture, faute de connaître les bonnes adresses… Mais ce n’est pas la même
chose, moi je suis vraiment né
écrivain. Fainéant comme je suis, de toute façon, je ne peux rien faire
d’autre.