jeudi 25 juillet 2013

Le roman de plage



« Il m’est égal de lire que les sables des plages sont chauds, je veux que mes pieds nus le sentent. »
André Gide, Les Nourritures terrestres.

            Il fait chaud, tout le monde est plus ou moins en vacances, plus ou moins torse nu, et le ventilateur rafraîchit plus ou moins la pièce, en soulevant la poussière. Vous n’avez pas envie de vous emmerder avec un texte didactique sur les figures de style ou la note de bas de page. Et vous avez bien raison. D’ailleurs, moi non plus, je n’ai pas envie de faire cours, aujourd’hui.
            Aujourd’hui, nous serons frais et légers, et nous parlerons du roman de plage.
            Oui, vous partez en vacances pour quinze jours, vous avez déjà prévu la crème solaire indice 100 (vous aimez les chiffres ronds et il ne me viendrait pas à l’esprit de vous blâmer pour ça), la glacière, les matelas gonflables et la tente, mais êtes-vous sûr de ne rien oublier ? Fermer le gaz, oui, d’accord, mais sinon ? Ce roman, que vous avez prévu d’emporter, êtes-vous sûr de le lire ? N’en préféreriez-vous pas un autre ? Surtout, êtes-vous sûr qu’il vous fera bien toutes les vacances ? Ce serait dommage qu’à cause d’une averse qui vous tiendrait plus longtemps que prévu otage de votre toile de tente ou de votre camping-car, vous avaliez le dernier Dan Brown en deux jours !
            Ces questions ne trouveront pas de réponses dans cet article. C’est votre problème.
            Mais réfléchissez bien !  Dites-vous bien que, là où vous allez, vous ne trouverez pas de « vraies » librairies. Aux Sables d’Olonne ou à Pornic, la librairie, c’est le bar-tabac-journaux où vous irez choisir vos cartes postales, votre Ouest-France (pour voir les résultats du Tour), et votre magazine de mots fléchés. Oui, voilà : la librairie, c’est ce tourniquet de livres de poche, perdu au milieu des seaux en plastique colorés, des diabolos et des moulins à vent jaune fluo. Juste entre le tourniquet à tongs et le tourniquet à bols bretons, avec votre prénom et le gentil petit couple à coiffe traditionnelle dessiné au fond !
            (Oui, j’ai passé pas mal de vacances en Bretagne, comment vous avez deviné ?)
            Enfin, une chose est sûre : si vous aviez l’intention d’acheter votre roman ici, vous risquez plutôt de repartir avec une natte de plage. Ou à la rigueur un Gérard de Villiers. Certes, le roman de plage est à la littérature ce que le cheeseburger est à la gastronomie : un petit plaisir qu’il est bon de s’offrir de temps en temps parce-que-c’est-les-vacances. Mais bon, de là à lire SAS
            Je n’ai pas fait de recherches (c’est les vacances), j’ignore donc de quand date l’expression « roman de plage ». Mais enfin, je suppose qu’elle est contemporaine de l’apparition des éditions de poche, mettons les années 30. Ou plutôt 50, époque où la Librairie Générale Française crée la collection Livre de Poche et où apparaissent les éditions J’ai Lu, entre autres…
Mais un roman de plage, ce n’est pas seulement un livre de poche, attention ! S’il vous prend l’envie de lire une édition Folio de La Chartreuse de Parme ou des tragédies de Sophocle en caleçon de bain devant la grande bleue, sous le parasol, grand bien vous fasse, mais il ne s’agit pas de littérature de plage. N’importe qui, vous voyant avec ce genre de lecture à la main, vous prendrait pour un intellectuel en congés, voire un prof, et pourrait légitimement vous jeter des pierres.
Il s’agit de ne pas faire de bêtise. Il existe même maintenant un Prix du Roman de plage. Vous voyez bien que c’est sérieux !
Bien sûr, vous pouvez aussi lire de grands classiques pendant vos vacances. Moi-même il m’est arrivé de le faire, et je n’en ai pas souffert. Cela dit, les filles ne vous trouveront pas plus sexy pour autant. Et allez donc parler du charme fragile de Fabrice Del Dongo à une lectrice de Katherine Pancol…
Ah, les vacances… la plage… Moi, j’embarquais toujours trop de livres quand on partait à la mer avec mes parents. Je n’avais jamais le temps de tout lire, ou alors il fallait que je renonce à faire mes devoirs de vacances (oh, allez, tant pis : je sacrifiais le cahier Passeport). Du coup, dans mes bagages, il y avait certes du Stephen King, du Léo Malet, du San Antonio, mais aussi, je dois bien l’avouer, à ma grande honte, du Baudelaire ou du Kafka. J’étais ce qu’on appelle un éclectique. J’ai beaucoup souffert. Pendant que ma mère finissait sa grille de mots fléchés, et avant qu’on ne passe tous au Scrabble – malédiction familiale – je passais ainsi de Nestor Burma à Joseph K., dans un éclair de schizophrénie livresque.
Et finalement, c’est pas si mal…

jeudi 18 juillet 2013

Le voyage



 
« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage… »
Joachim du Bellay

            Les vacances, c’est le moment des grandes transhumances. L’été, si propice aux voyages, voit tous les ans les vacanciers ravis s’échouer sur les plages d’Armorique ou de la Méditerranée (je ne sais jamais s’il faut un n ou deux) ou encore, pour les plus aventureux d’entre eux, se perdre dans les pays étrangers, dépaysement garanti, allons ma chère nous assurer que le Parthénon ressemble bien aux cartes postales.
            Comme vous n’avez aucune personnalité, vous n’y couperez pas : vous aussi, cet été, vous « partirez ». Oui, je suis un peu aigri – j’en ai marre qu’on me pose cette question : « Tu pars, cet été ? »
            « Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination », disait Céline qui, lui, voyageait au bout de la nuit.
            L’un des premiers récits de voyage date de 1299 : il s’agit bien entendu du Devisement du monde de Marco Polo. « Pour savoir la pure verité des diverses regions du monde, si prenez cest livre et le faites lire, si trouverez les grandes merveilles qui sont escriptes de la Grant Ermenie et de Perse et des Tartars et de Ynde et de maintez autres provinces, si comme nostre livre vous contera tout par ordre, des que mesire Marc Pol, saiges et nobles cytoiens de Venise, raconte pour ce que il les vit. »
Le récit de voyage promet au lecteur sédentaire évasion, merveilles et étrangetés. Voyager, c’est bien utile, oui, et à l’époque de ce bon Marco Polo (ancêtre du voyageur de commerce à attaché-case et costume cravate pendu à un cintre sur la vitre arrière de la C3 Picasso), c’est surtout bien rare. Le Devisement du monde offre donc à ses lecteurs émerveillés la description de pays qu’ils ne verront jamais : la Chine du Grand Khan, l’Arménie, la Perse, l’Inde… Et il fera des émules : Colomb avait, entre autres, le récit de Marco Polo dans la tête quand il décida de rejoindre l’Inde par l’Ouest et se heurta à un continent impromptu qui allait donner du travail aux cartographes pour les années à venir !
Colomb, d’ailleurs, a largement contribué au développement de la littérature de voyage à la Renaissance, au moment même où, coup de bol, l’invention de l’imprimerie fait de la lecture une activité plus abordable. Le XVe siècle, l’ère des grands explorateurs, excite le désir de connaissance des milieux cultivés. Colomb, Magellan, Vasco de Gama : leurs périples n’ont pas fini de nourrir récits, poèmes et rêveries…
Si Marco Polo a « inventé » le récit de voyage, on peut dire que Pétrarque a fait de même avec le récit de « tourisme » en relatant en 1336 son Ascension du Mont Ventoux, effectuée pour nulle autre raison que la curiosité et le plaisir de se fixer un but à atteindre. On se souvient de la réponse que donnait l’alpiniste George Mallory aux journalistes qui lui demandaient pourquoi il tenait tant à gravir l’Everest : « Parce qu’il est là. »
Au XIXe siècle, l’écrivain se fait voyageur, et l’on ne compte plus les récits de voyages en Italie ou en Orient signés Stendhal, Chateaubriand, Nerval, Flaubert… Orient mystérieux, Orient lumineux, Italie des peintres et des paysages sublimes – avec de telles plumes, le Routard du Guide peut aller se rhabiller !
Mais nous n’avons parlé que des récits de voyages réels – or qui dit « littérature » dit « fiction », et l’engouement pour les mystères des contrées lointaines a donné lieu à une littérature du voyage imaginaire. Cinquante ans après Marco Polo, Jean de Mandeville publie un Livre des merveilles du monde relatant un voyage de l’Égypte à la Chine en passant par l’Asie centrale… l’auteur n’ayant en fait jamais été plus loin que l’Égypte. Mais bien avant cela, bien sûr, Homère avait embarqué Ulysse dans un voyage au long cours à faire pâlir d’envie tous les concurrents du Vendée-Globe. Et vers les années 1320, Dante était parti faire du couch surfing avec son pote Virgile depuis les Enfers jusqu’au Paradis !
Au XVIIIe siècle, Daniel Defoe publie Robinson Crusoé, créant un topos qui nourrira des générations d’écrivains (et de candidats de Koh Lanta) : l’île déserte ! Et Jonathan Swift rédige les Voyages de Gulliver, satire politique et sociale décrivant quatre voyages sur des îles imaginaires. Un siècle auparavant, Savinien Cyrano de Bergerac s’est déjà envolé sur la Lune, sans attendre ni Jules Verne, ni Tintin, ni Armstrong ; et même sur le Soleil, récits recueillis dans L’Autre Monde. Christophe Colomb ayant découvert le Nouveau Monde, et Magellan ayant fait le tour de la Terre en quelques coups de rame au XVIe siècle, il ne restait plus, pour les générations suivantes, qu’à s’intéresser aux autres mondes… avant que H.G. Wells n’ajoute à tout ça une géographie temporelle avec sa Machine à explorer le temps, en 1895 !
Bon, alors et vous, vous partez, cet été ?

jeudi 11 juillet 2013

Le sport



L’actualité sportive est une marchande de quatre-saisons. Si l’athlétisme est la denrée superbe de l’été, si le football enchante les mois intermédiaires, si le cyclisme, au naturel ou en conserve, couvre un peu toute l’année à la manière des petits pois, la boxe avec ses salles chaudes, ses marrons, ses mitaines, est le véritable sport d’hiver, du moins pour ceux que la grâce des séjours dans la neige, garantis sur fracture, n’a pas encore touchés.
Antoine Blondin


Maintenant qu’on se connaît un peu, je peux bien vous l’avouer : le sport m’est totalement étranger. J’ai toujours vécu le nez dans les livres, où je voguais librement, et chaque semaine, lorsque approchait l’heure de me rendre au gymnase du collège, ou du lycée, pour y subir l’humiliation hebdomadaire du coups d’E.P.S., je sentais mon estomac se nouer et mes testicules se recroqueviller dans leurs bourses.
            J’étais un « littéraire », quoi. Pas un sportif.
            Je pensais vraiment que les deux étaient incompatibles. À vrai dire, je ne me posais même pas la question. Je n’ai jamais entendu Yannick Noah parler de Heidegger avec Michel Platini (à moins qu’il n’y ait eu un champion de course automobile qui s’appelait Heidegger ?), et j’imaginais mal Marcel Pagnol transformer un essai au rugby. C’était comme ça : deux mondes qui ne se rencontreraient jamais. La tête et les jambes, le corps et l’esprit, à jamais séparés…
            Léon Bloy écrivait : « Je crois que le sport est le plus sûr moyen de produire une génération de crétins malfaisants. »
            Bon, certes, dès qu’on se penche un peu sur les auteurs grecs, d’Homère à Aristote, on trouve chez eux de nombreuses allusions à la pratique sportive. Mais les Grecs ont inventé les Jeux olympiques – il est un peu logique que même leur littérature sente parfois le vestiaire…
            Au fond, la seule activité sportive qui selon moi pouvait se marier avec la littérature était la marche à pied. Et le cyclisme sur route, disons. Tout ce qui permet de voyager un peu, que ce soit avec un âne dans les Cévennes ou avec un bâton sur les cimes de Sils-Maria…
            Il faut reconnaître que la littérature s’est assez peu préoccupée du sport, en règle générale, même si Rabelais et Montaigne encourageaient l’activité physique. « Ce n’est pas une âme, ce n’est pas un corps qu’on dresse, c’est un homme ; il n’en faut pas faire à deux. Et, comme dit Platon, il ne faut pas les dresser l’un sans l’autre, mais les conduire également, comme une couple de chevaux attelés à même timon » (Montaigne, Essais, I, 26.)
            Et voilà qu’à la fin du XIXe siècle, en Europe, naît véritablement l’idée du sport, avec le retour des Jeux olympiques et le livre que Pierre de Coubertin consacre à l’éducation en Angleterre, entre autres. À partir de cet instant, le sport allait gagner ses lettres de noblesse. Et les petits intellos binoclards incapables de faire un service correct au volley allaient pouvoir se faire humilier régulièrement dans les gymnases scolaires par les cancres baraqués qui font la fierté de l’UNSS. Parce que l’essentiel, c’est de participer.
            Le sport n’est pas devenu un thème majeur de la littérature (faut pas exagérer non plus), mais petit à petit, au cours du XXe siècle, on a vu débarquer cette chimère inattendue, cet oxymoron humain : l’écrivain sportif. Pour ponctuer cette phrase, il faudrait imaginer le bruit de la foudre, quelque chose de très impressionnant, comme dans le Frankenstein de James Whale, au moment où la créature prend vie. « It’s alive ! It’s alive ! »
            L’écrivain sportif, parfaitement. Il y a eu Arthur Cravan, qui faisait de la boxe ; Jean Giraudoux, recordman du monde de course à pied, Frison-Roche qui faisait dans l’alpinisme… Et, bien entendu, il y a aussi les écrivains amateurs de sport et qui assument cette passion. Il paraît que Sartre regardait le foot en cachette (ça m’étonne pas de lui, ça, tiens…). Rien à voir avec Antoine Blondin, Jacques Perret ou bien d’autres, qui ont écrit des articles inoubliables sur le sport, à tel point qu’ils ont fait entrer la chronique sportive en littérature, aussi sûrement que s’y trouvaient déjà la chronique dramatique ou la critique d’art. Quand Blondin écrit sur le Tour de France ou sur quelque rencontre sportive que ce soit, il fait de la critique d’art. Blondin parlant de Jacques Anquetil, c’est Baudelaire évoquant Constantin Guys ! Oui, avec Blondin, sport et littérature avancent main dans la main : un peu comme si les Bleus faisaient leur troisième mi-temps au Café de Flore…
            Et désormais, lorsque mon médecin, auscultant avec inquiétude mon dos voûté, me demandera : « Vous pratiquez un sport ? », je pourrai lui répliquer fièrement :
            « Oui, monsieur. J’écris ! »

dimanche 7 juillet 2013

Zombies et châtiment



Journal d'oisiveté
Juin 2013

Copyright Robert Kirkman/Charlie Adlard

Samedi 1er juin.

            « ‒ Merci de nous recevoir, monsieur Julde…

            ‒ Juldé.

            ‒ Pardon, monsieur Juldé. Nous avons quelques questions à vous poser concernant votre actu… Alors, on le rappelle, votre actu, c’est cette chronique hebdomadaire, La Bibliothèque de Jupiter, qui paraît tous les jeudis, je crois, c’est bien ça ?

            ‒ Oui, oui.

            ‒ Bien. Alors il s’agit d’une chronique consacrée à la littérature, et on va dire, à un thème particulier qui touche à la littérature. De près ou de loin, d’ailleurs, hein, puisque vous avez pu parler du roman, du monologue intérieur, mais aussi du café, enfin… De thèmes comme ça un petit peu plus périphériques, on va dire. Alors, la question qu’on se posait, c’était, tout d’abord : est-ce que vous faites des recherches préalables pour rédiger vos textes, ou est-ce que vous vous servez tout simplement des connaissances que vous avez, enfin… Je m’aperçois en la posant que cette question n’est pas intéressante du tout…

            ‒ Oui, non, elle n’est pas intéressante mais je vais y répondre quand même. Eh bien, figurez-vous que je prévois prochainement de consacrer une chronique au thème de l’aventure. Ah ! le récit d’aventures… Jules Verne, Stevenson, Conrad… Et je me suis justement procuré le petit essai de Jean-Yves Tadié consacré au Roman d’aventures. Je suis en train de le lire, et c’est très instructif, mais d’un autre côté, je constate au fil de ma lecture que j’aurais aussi bien pu écrire ma chronique sans passer par là. Et c’est ce que je fais habituellement. Et ça se passe plutôt pas trop mal. Je me contente généralement de vérifier certaines choses dans des ouvrages spécialisés si je les ai à disposition (comme pour mon texte sur les monstres – parce que mine de rien, j’ai un bon paquet de documentation sur les monstres, je sais pas, c’est mon truc, moi, les monstres), et puis de temps en temps je vais vérifier un truc ou deux sur Wikipédia. Voilà.

            ‒ D’accord. Et… par ailleurs, des rumeurs prétendent que vous auriez une relation avec Kirsten Dunst. Vous confirmez ou pas ?

            ‒ On ne peut pas empêcher les rumeurs, vous le savez mieux que moi. Mais pour protéger notre jardin secret, à Kirsten et à moi, vous comprenez bien que je ne peux pas répondre à cette question.

            ‒ Merci, monsieur Julde.

            ‒ Juldé. Je ne vous raccompagne pas. »

            Bref. Cette petite plaisanterie pour dire qu’effectivement, je suis en train de lire le Tadié et que je pense que la prochaine chronique pourrait parler de l’aventure. Ou des aventures ? Je ne suis pas encore bien fixé, et de toute façon, en ce moment, je me concentre surtout sur les biographies. J’achève celle de Demi Moore ce matin, et passe ma soirée sur Diam’s (et je dois me faire violence pour transformer en qualités tout ce qui m’a toujours déplu chez cette rappeuse de pacotille) et sur Diane Krüger. Il m’en restera encore trois à rédiger demain, et je serai en mesure d’envoyer mes textes dès lundi. Poussé par la nécessité, je peux devenir tout à fait productif…


Dimanche 2 juin.

            J’avais noté sur mon petit carnet les neuf noms de personnalités que je devais traiter pour cette grosse commande de résumés biographiques. Dès que j’avais achevé un article, je rayais un nom. Il m’en restait donc trois ce matin : Drew Barrymore, et deux mecs que je ne connaissais pas. Ce soir, il ne reste plus que le dernier, que je me réserve pour demain, finalement, parce que ce gars-là a la mauvaise idée d’être une célébrité pas célèbre du tout : un acteur de théâtre essentiellement, et franchement, qui ça intéresse, le théâtre ? Alors je sens que je vais devoir tirer à la ligne, pour ce texte, et là je ne m’en sens plus le courage.
                   

Lundi 3 juin.

            Finalement, quand on parvient à trouver l’angle d’attaque qu’il faut pour rédiger ces 2000 signes à propos d’une célébrité parfaitement inconnue, et qu’on termine le texte plus facilement qu’on ne le craignait, c’est plutôt un travail satisfaisant. On pourrait prendre la célébrité par les épaules (en l’occurrence, il s’agissait d’Eddie Redmayne), la regarder bien dans les yeux et lui dire : « On a fait du bon boulot, toi et moi, Eddie ! »

            Je suis surtout soulagé d’en avoir fini avec cette commande : en attendant la prochaine, je vais pouvoir me lancer dans mon texte sur le roman d’aventures…

            Je vais pouvoir le faire, mais pas aujourd’hui, bien sûr ! Pas avec ce soleil… C’est un temps à vivre des aventures, plutôt qu’à les écrire !

            (Évidemment, je ne les vis pas non plus…)


Mardi 4 juin.

            J’embarque dans le bon gros livre que Norman Mailer a consacré à Lee Harvey Oswald, et je jubile d’avance du voyage. J’aime sa façon de commencer par la bande, en présentant d’abord des personnages secondaires, périphériques, le personnage principal entrant en scène comme par raccroc, discrètement, le gentil flirt américain de la jolie Russe romantique…

            Et j’embarque aussi dans mon article sur l’aventure. J’en écris une grosse partie, laissant la suite à demain, ce qui n’est peut-être pas une bonne idée, puisque les phrases s’enchaînaient facilement, dans un grand plaisir d’écriture… Mais évidemment, je me suis mis au travail tard dans la nuit, et j’ai préféré m’interrompre avant de ne plus avoir les idées très claires.


Mercredi 5 juin.

            Article achevé au réveil, et à vrai dire, je suis assez content de moi. Je dirais même qu’il fait partie de mes meilleures chroniques de la Bibliothèque de Jupiter, avec celle sur la guerre… C’est en tout cas l’une de celles que je me suis le plus amusé à écrire.


Jeudi 6 juin.

            Je lis Norman Mailer à la terrasse du Parvis en regardant à la dérobée les jambes des filles. Ah ! Si j’avais dix ans de moins…

            Hier, un jeune de dix-neuf ans, militant antifasciste, est mort dans une altercation avec un groupe d’extrême droite. Dans la presse, c’est tout de suite devenu : « Clément Méric, agressé pour ses idées », « battu à mort », etc. Pierre Bergé a sauté sur l’occasion pour accuser les militants de la « Manif pour tous » et notamment Frigide Barjot d’avoir « préparé le terrain » et « promis du sang », qui maintenant « éclabousse la démocratie et la République ». On n’en est plus à une récupération politique près… Quant à Bernard Debré, sur un mode moins abject mais plus neuneu, il accuse les « jeux vidéo hyper-violents ». Bon, mais lui, il est juste en retard d’une guerre ou deux, visiblement.

            Aujourd’hui, un peu partout en France, l’extrême gauche se réunissait en mémoire de Clément Méric et pour protester contre cet acte de violence. Le Front de Gauche appelait à la dissolution des groupuscules d’extrême droite (bizarrement, il ne prévoyait rien contre ceux d’extrême gauche).

            En fin de compte, il semblerait que ce soit Clément Méric lui-même, avec quelques camarades « antifa », qui ait cherché querelle aux gros méchants skinheads. Il se serait pris un coup de poing, sa tête aurait heurté un poteau, et il serait resté au sol, en état de mort cérébrale. On est loin de la thèse de l’agression sauvage, et du jeune « battu à mort » pour ses « idées » ! Cette mort est absurde et révoltante, certes, mais ce qui est encore plus révoltant, c’est cette instrumentalisation d’un événement qui n’est en somme qu’une altercation qui a mal tourné… À peine refroidi, le cadavre de Clément est piétiné par ceux-là même qui prétendent honorer sa mémoire. Les mêmes qui crient « Pas d’amalgame ! » quand des voitures sont brûlées dans les cités « sensibles »…

            Aux dernières nouvelles, la victime et ses agresseurs se seraient trouvés dans le même appartement où avait lieu une vente privée « de vêtements de plusieurs marques appréciées par les jeunes militants issus à la fois de l’extrême gauche et de l’extrême droite. »

            Mourir pour ses idées, déjà, c’est con. Mais alors mourir pour un Fred Perry…


Vendredi 7 juin.

            Étrange, ces gens qui ne savent pas goûter le silence… Alors que je lisais une fois de plus à la terrasse du Parvis, la table la plus proche de la mienne était occupée par trois jeunes, une fille et deux garçons, les deux porteurs d’un tee-shirt jaune vif – à tel point que j’ai d’abord cru qu’ils faisaient partie d’une association quelconque. En fait, non : l’un d’eux portait un tee-shirt jaune avec un peu de vert, mais je ne sais pas s’il était aux couleurs du Brésil ou du Stade nantais. Bref : le type au tee-shirt jaune uni parlait d’une manière intarissable, et tentait de convaincre l’autre de postuler pour un emploi de vente par téléphone. Il lui expliquait tout le principe de la chose, et que bien sûr il faut faire du chiffre, et que bien sûr il ne faut jamais s’énerver même si le client potentiel vous « renvoie chier », et que bien sûr il faut avoir la « tchatche »… La « tchatche », le type l’avait, ça c’est sûr : on n’entendait que lui ! Difficile, pour moi, de me concentrer sur le mariage de Lee Harvey Oswald et de Marina Prusakova ! Et le plus insupportable, c’est que lorsqu’il n’avait plus rien à dire, il enclenchait de la musique sur son Ipod (du vague reggae à vomir) et chantait en yaourt par-dessus !

            Mickaël et Marie nous ont invités pour un barbecue de rattrapage après la soirée ratée pour cause de gastro du mois dernier. Mais bien sûr, alors que le soleil a brillé toute la journée, l’orage éclate au moment même où il faut se mettre en route pour rejoindre la maison du couple. Je suis le premier arrivé (mais comme l’Histoire ne retient que les trains qui arrivent en retard, ce ne sera sans doute pas porté à mon crédit), puis arrivent Guillaume et Claire, Stan, Line et Joséphine, et enfin Anthony. J’ai apporté des cadeaux pour les enfants, puisque, à l’origine, nous devions fêter les deux ans de Thibault et, accessoirement, la venue au monde de son cadet. Claire et Guillaume ont également des cadeaux à offrir. Thibault et Joséphine se cherchent un peu timidement d’abord – mais la soirée ne fait que commencer – et sur la table, le petit dernier, Benjamin, attend l’heure du repas. Ce soir, c’est lait maternel, comme d’hab’, et c’est Marie qui va dresser la table dans la chambre d’enfant, où nous ne sommes pas conviés. Une contre-soirée, en quelque sorte.

            La grande question qui nous occupera un moment : la pluie va-t-elle se calmer et, si oui, va-t-on tenter de dîner dehors ? À la première éclaircie venue, on se déplace dans le jardin, de l’espoir plein les yeux, et aux premières gouttes (qui sont tombées, je crois, à l’instant même où Tsonga perdait contre Ferrer – parce que bien entendu, la télé était branchée sur Roland-Garros), des dissensions éclatent dans le groupe, entre les courageux qui voudraient, malgré tout, rester dehors, parce que c’est quand même pas trois gouttes qui vont nous faire reculer ; et ceux qui songent qu’il est inutile d’insister, puisque c’est un coup à devoir rentrer en catastrophe tous les couverts et tous les plats qui auront été sortis pour les abriter. Finalement, c’est la prudence qui l’emporte : nous sommes des trentenaires.

            Ça ne nous empêche pas, pendant que le barbecue s’embrase, de rester un peu dans le jardin, où Thibault et Joséphine disputent une partie de football – à laquelle on participe tous plus ou moins, du bout du pied – et vont admirer Roger, le lapin qui nous enterrera tous (il a onze ans !). Je discute avec Anthony et Claire de mes commandes d’articles. Cette semaine, je n’ai pas eu de « bio » à rédiger, mais des « avis » de produits culturels : DVD, bandes dessinées et même logiciels. Anthony s’amuse à imaginer ce que je vais bien pouvoir dire pour vendre Norton Antivirus 2013. Je vais trouver, je vais trouver…

            Pendant le repas, on parle évidemment de la mort de Clément Méric, et Stan nous fait remarquer que son nom est l’anagramme de « crime » et de « merci ». Je crois qu’on tient une piste que les enquêteurs ont ignorée jusqu’à présent… Il faudrait voir du côté des groupuscules de joueurs de Scrabble d’extrême droite… Stan, toujours lui, s’est entiché de l’expression « par capillarité », qu’il ressort quinze fois dans la soirée.

On cause aussi du vol des trois squelettes sur le site des fouilles archéologiques de Saint-Tugal. Il ne s’agissait pas du secteur de fouilles dont s’occupait Claire, mais ça a fait pas mal de bruit dans la presse locale. Un type est venu piller la nécropole médiévale qui venait tout juste d’être mise à jour, et a embarqué les squelettes dans un sac Leclerc ! Il les a restitués en s’excusant, mais évidemment, les ossements sont devenus inexploitables. Finir dans un sac en plastique, pour un noble du Moyen Âge, c’est plutôt triste…

Il est également question de reprises électro de Brassens, de la chanson de Patrick Sébastien Et quand il pète il troue son slip, de Cyril Hanouna, de Maïtena Biraben, des tics langagiers de Guillaume Durand, de l’émission Taratata qui s’arrête et des multiples « nouvelles formules » de Nulle part ailleurs et du Grand journal depuis la période Philippe Gildas (l’âge d’or). C’est donc en quelque sorte un plateau télé. La cave à vin électrique de Mickaël a encore beaucoup fait parler d’elle, les buveurs ayant étudié d’assez prêt l’odeur et le goût de quelques-unes de ses bouteilles, dont la plupart, visiblement, seraient encore un peu trop acides pour faire un vinaigre raisonnable.

Marie a été la première à déclarer forfait et à aller se coucher (elle vient d’enfanter, ça peut se comprendre), puis Line en fait autant (elle est enceinte, ça peut se comprendre). Stan a pris la décision, adulte et responsable, de rester dormir chez Mickaël et Marie, ce qui évitera de réveiller Joséphine pour la ramener dans son lit. Peu après le départ de Claire et de Guillaume, Anthony et moi levons le camp aussi, vers deux heures. Il ne pleut plus. On aurait pu manger dehors…


Dimanche 9 juin.

            L’après-midi, je viens à bout de la quinzaine d’avis que je devais rédiger, concernant des films, des bandes dessinées et des logiciels informatiques. Le soir, en guise de récompense, je vais au Cinéville voir le film Hannah Arendt, de Margarethe von Trotta. La philosophe face à la banalité du mal personnifiée par Adolf Eichmann – la Bête immonde sous la peau d’un petit fonctionnaire à lunettes, enrhumé et parcouru de tics. Cette question de la « banalité du mal » et surtout celle de la « collaboration » des chefs juifs à la Solution finale la mettent face à l’incompréhension de la communauté juive, qui se sent trahie par l’une des leurs. Assez bon film, qui met en lumière cette question qui empoisonne encore tous les débats politiques actuels : faut-il dire la vérité lorsque celle-ci est en contradiction avec la pensée officielle, juste et progressiste, du temps ? Peut-on la dire sans être aussitôt insulté, condamné ? Et tenter de comprendre le mal, est-ce l’excuser ?



Lundi 10 juin.
           
Aujourd’hui, pour la première fois, j’ai refusé une commande d’articles. Je l’ai fait après avoir longuement hésité, et avec beaucoup de scrupules : je n’aime pas dire non. Que va-t-on penser de moi ? Mais il s’agissait d’articles consacrés au jardinage – un domaine qui m’est parfaitement étranger. Deux articles seulement, pour une commande de dix-sept euros, mais qui, si je l’avais honorée, aurait inauguré une autre série de commandes plus importantes, consacrée au même thème. En me renseignant sur Internet, j’aurais pu écrire ces articles… mais bon, je ne me sentais pas le courage de m’attaquer à un secteur totalement inconnu de moi. Ce refus, malgré tout, m’a occupé l’esprit une bonne partie de l’après-midi : après tout, j’ignorais à quel moment on allait me proposer autre chose… Et finalement, ça ne s’est pas fait attendre : à la place, on m’envoie une dizaine de nouvelles biographies à rédiger, pour un montant de cent quarante euros : Eh bien ! Qu’est-ce que j’ai bien fait de refuser la première commande, finalement !

            En lisant le livre de Norman Mailer sur Lee Harvey Oswald, et surtout la période de la vie d’Oswald en Russie, je ne peux pas m’empêcher de penser au paradoxe invraisemblable qui fait qu’aujourd’hui encore, le communisme soit considéré par beaucoup comme une idéologie positive et libératrice. Les gens de ma génération n’ont pas connu le fascisme. Le seul totalitarisme qui nous soit réellement contemporain est le communisme. La Guerre Froide est encore récente, et nous avons vu tomber le Mur de Berlin ! Nous ne pouvons donc pas prétendre ignorer ce que représente le communisme, à moins d’un aveuglement volontaire, d’une mauvaise foi en titane ! Même Oswald, venu en U.R.S.S. pour fuir le capitalisme, après trois années passées à subir la bureaucratie soviétique, l’interdiction de circuler librement (il n’avait pas le droit de quitter Minsk), l’interdiction de s’exprimer librement (on ne parle pas de politique en public, pas même à la terrasse d’un café), et une surveillance de chaque instant par le KGB (qui avait truffé de micros l’appartement qu’il partageait avec sa femme Marina) ; même Oswald, de retour aux Etats-Unis, continuait à prétendre qu’il n’y avait pas moins de liberté en Russie qu’en Amérique, et à distribuer des tracts pro-cubains. Oui, vive le communisme ! Quel plaisir de vivre dans un pays pauvre où chacun surveille chacun, plutôt que dans un pays riche où l’individu est libre de dire et de faire ce qu’il souhaite… Il faudrait toujours relire le Mea Culpa de Céline.



Mardi 11 juin.
           
Ma mère m’apprend au téléphone la mort de l’oncle Bernard – l’un des frères de mon grand-père, qui avait fêté ses quatre-vingts ans tout récemment. L’enterrement a lieu demain au Bignon du Maine.

            Pas vraiment d’idée pour ma chronique de jeudi, et avec cet enterrement, ça risque d’être difficile de l’écrire demain – mais il le faudra bien.

            Finalement, ce soir, je décide, puisque j’avais laissé le lecteur sur un faux suspense la dernière fois, de parler des « suites », et plus précisément des continuations du Moyen Âge. Je commence mon texte, que j’interromps assez vite pour aller au cinéma.

            Je suis allé voir Gatsby le Magnifique. J’y suis allé en anticipant la déception, voire la colère, que j’allais ressentir en voyant piétinée l’œuvre de Fitzgerald. Du coup, pas de déception, pas de colère : ce film est le navet auquel je m’attendais, ni plus ni moins. Qu’espérer d’autre de la part du réalisateur de Moulin Rouge, ce Navet des navets (comme il y a le Cantique des cantiques) ? C’est comme si une délicate friandise, légère et raffinée, avait été métamorphosée en une immense pièce montée indigeste, dégoulinante de chantilly, que vous alliez être obligé d’avaler en intégralité, et sans vomir… Rien que le choix de Tobey Maguire dans le rôle de Nick Carraway est une hérésie. Je m’attendais à le voir ouvrir sa chemise et endosser le costume de Spiderman à chaque moment un peu intense du film ! (Attention ! J’aime beaucoup Spiderman ! Mais dans Spiderman…) Et ces couleurs vives tout le temps, ces effets de caméras à l’attention des débiles profonds (waooouuhhh ! la plongée fulgurante façon montagnes russes le long des buildings, et qu’on nous ressert deux fois (au moins) au cas où on ne l’aurait pas suffisamment appréciée à la première fournée), cette mise en scène qui vous enfonce le clou de chaque plan, comme si vous aviez besoin qu’on vous souligne bien tout au Stabilo pour que vous compreniez… Oh ! Le vent qui souffle dans les grands rideaux blancs la première fois que le spectateur rencontre Daisy, pitié !... Et le contraste exagéré jusqu’au ridicule entre l’ilôt paradisiaque du château de Gatsby et les sombres bas-fonds du centre de New York !... Jamais un peu de délicatesse, un peu de subtilité ? Non, vraiment, il faut supporter du début à la fin tout ce clinquant qui sonne faux ? Et cette bande originale insupportable… Admettons que ce soit un choix esthétique de prendre des musiques contemporaines plutôt que des fox-trots ou des charleston des années 20 – admettons. Mais fallait-il pour autant choisir de la daube ? Je pose la question ? Le plus terrible, finalement, mais par charité je mettrai plutôt ça sur le compte de la version française, c’est que même la voix off – c’est-à-dire le texte authentique de Fitzgerald – sonne faux, dans ce film. Et surtout redondant, comme tout le reste. Devant ce désastre, on a parfois une pensée pour ce grand film qu’aurait pu donner Gatsby le Magnifique, avec un autre réalisateur que Baz Luhrmann… et un autre acteur que Spiderman. Leonardo DiCaprio, finalement, est le seul qui s’en sorte un peu – et il a bien du mérite, parce qu’il n’est pas aidé, le pauvre…


Mercredi 12 juin.
           
Ma chronique est quasiment terminée lorsque mon frère passe me prendre en début d’après-midi pour rejoindre la sépulture de Bernard, au Bignon du Maine. Il y a déjà beaucoup de monde sur le parvis de la petite église, et la foule va continuer d’augmenter, la plus proche famille étant déjà installée dans l’église. Il faut dire que notre grand-oncle était une gloire locale, ayant été maire du Bignon pendant douze ans, et ayant participé activement à beaucoup de travaux pour la commune et ses environs au sein du conseil d’administration…
           
Mon frère, qui a profité de sa pause pour venir, ne reste que pour la messe. Nous sommes tout au fond de l’église, là où un Dieu un peu myope ne pourrait pas nous voir, et nous nous levons et nous asseyons au rythme de l’office, en imitant autant que faire se peut les autres membres de l’assistance. Nous n’allons pas jusqu’à faire le signe de croix… Beaucoup d’hommages sont rendus au mort, de la part de ses enfants et petits-enfants, et de celle du collègue de Bernard au conseil. C’est au moment de quitter l’église qu’Erwan et moi sommes pris de scrupules : faut-il agiter le goupillon au-dessus du cercueil en passant à côté, ou peut-on se contenter de poser la main dessus ? À mon avis, on peut se passer du goupillon, mais comme tout le monde l’utilise, on préfère agir comme tout le monde pour ne pas créer un incident diplomatique. Erwan dessine une vague croix dans l’air, moi j’ai plutôt l’impression de donner de petits coups de salière au-dessus d’un plat…
           
Mon frère retourne donc au boulot, moi j’attends la sortie du cortège et retrouve ma mère, Émile et toute la famille, qui prend la direction du cimetière juste en face. Riton et Marie-Hélène soutiennent ma grand-mère qui se déplace difficilement. Bernard va retrouver sa Marguerite, morte il y a deux ans. Je serre des mains et embrasse des gens que je n’identifie pas forcément, cousins et parents que je ne vois guère qu’aux grands repas rassembleurs. L’oncle Marcel, le frère aîné de Bernard, est le seul garçon qui reste de la fratrie Chabrun, maintenant… Je craignais d’être beaucoup sollicité après les recherches que j’ai effectuées autour du « grand-père » Chabrun – ma vieille réticence à être mis en avant et à devoir prendre la parole – mais c’est surtout avec Riton et avec Joël que j’en parlerai un peu, avec Marie-Hélène également, et une cousine qui me dit que la synthèse de mes recherches a fait un heureux : son fils, qui est en CM2, étudie justement la Première Guerre mondiale, et était fier de pouvoir parler de son arrière-grand-père. Notre procession a rejoint tranquillement la salle des fêtes toute proche, passant devant la maison, désormais vide, de Bernard et Marguerite, et leur jardin rempli de fleurs. Cette salle des fêtes a bien changé depuis la dernière fois que j’y suis allé. Mon journal pourrait dire en quelle année c’était, et à quelle occasion – moi, je suis une passoire. Les plus mémorables fêtes de mon enfance s’y sont déroulées, tous les repas de famille, les anniversaires… Normal qu’on se retrouve tous ici pour le vin d’honneur – pour le café, en ce qui me concerne. Riton évoque avec ma mère l’enterrement du « grand-père » Chabrun, en 1969. Il se souvient qu’à l’occasion, les parents – c’est-à-dire les fils et filles de Jean-Baptiste – s’étaient mis à chanter, transformant un événement sinistre en un rassemblement chaleureux. 

            Comme Riton et Marie-Hélène doivent raccompagner « mamie » à la maison de retraite, c’est eux qui me déposeront à Laval. C’est surtout pendant le trajet du retour qu’on évoque le grand-père et mes recherches.

            De retour chez moi, après avoir dîné, je me remets sans grande difficulté à mon texte pour la Bibliothèque de Jupiter. Encore un de fait !


Jeudi 13 juin.
           
            En ville, je me fais interpeller par des élèves de Réaumur, mes chers premières, qui me disent que je leur manque (eh ouais, je sais, je sais…), me demandent ce que je fais en ce moment et comment se sont passé mes concours. Comme je leur explique que j’écris des textes sur le Net pour gagner un peu d’argent, l’un d’eux me dit : « En tout cas, le jour où tu publies un roman, on ira l’acheter ! » Merci, les p’tits gars. En attendant, bon courage pour le bac de français.


Vendredi 14 juin.
           
Je passe à M’Lire où j’achète un petit recueil de textes de Mark Twain sur la religion : Quand Satan raconte la terre au Bon Dieu. Je prends mon café au Parvis où je poursuis la lecture du livre de Norman Mailer.


Samedi 15 juin.

            J’aide ma mère à déménager ce matin, ou plutôt à emménager dans le nouvel appartement qu’elle occupera à quelques mètres de chez moi. Quand j’arrive, je vois qu’elle est accompagnée d’une femme de l’agence qui lui loue l’appartement. Une très jolie jeune femme, d’ailleurs, avec d’incroyables yeux verts. Cette femme est aux prises avec plusieurs trousseaux de clés pour ouvrir la cave et le local poubelles, et avec un long tournevis pour vérifier le compteur EDF. Ma mère, toujours prévenante, est embêtée de la voir perdre son temps à essayer toutes ces clés, mais la belle la rassure : c’est son métier. En ce qui me concerne, j’aurais bien aimé qu’elle se débatte avec ses trousseaux pendant encore une ou deux heures… Mais elle finit par s’en aller, et nous voilà à vider le camping-car. Ce sont surtout les cartons qui nous occupent pour l’instant : les gros meubles et l’électroménager, ce sera pour plus tard. J’arrive à me faire mal au dos en posant le grand coffre « du mort » de ma mère (« Yo-oh-oh ! Et une bouteille de rhum ! »), et une bonne douleur qui va me suivre toute la journée, et sûrement encore pour quelques jours, malgré le Doliprane et le gel contre les souffrances musculaires. Je me déplace comme un vieillard tout le reste de l’après-midi, avec l’impression d’être un Saint-Sébastien traversé de flèches à chaque fois que je m’assois ou que je me lève. Moi qui comptais écrire plusieurs « bios » ce soir, je me contenterai d’une seule et passerai le reste de la soirée devant la série The Walking Dead. Les zombies, dans cette série, sont plus alertes que moi…



Dimanche 16 juin.
           
Je passe la journée comme un bout de bois sec prêt à se briser au moment où quelqu’un aura la mauvaise idée de le plier en deux. Je trouve tout de même le moyen d’écrire deux biographies dans ces conditions difficiles, le dos complètement déchiré. Je dois être une sorte de héros.


Lundi 17 juin.
           
            Guillaume m’ayant conseillé un livre amusant, une histoire de zombie, Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère et retrouvé l’amour, par S.G. Browne, je lui ai demandé de me le mettre de côté, et je vais le chercher cet après-midi.
           
J’ai sérieusement ralenti le rythme de ma production de biographies de célébrités. Je comptais en faire deux ou trois par jour pour pouvoir les renvoyer rapidement, mais je n’en ai écrit que deux hier, les jours précédents je n’en ai fait qu’une par jour, et aujourd’hui aucune. Et comme je vais également devoir m’occuper de ma chronique mardi ou mercredi, cette production risque de ralentir encore. J’ai un délai plutôt souple : je dois rendre ces textes le 1er juillet au plus tard. Mais j’aurais aimé les renvoyer dès cette semaine. Il faudra plutôt compter sur la semaine prochaine…


Mardi 18 juin.

            L’ancien propriétaire, ou emprunteur, du livre de Norman Mailer sur Oswald que je suis toujours en train de lire, a orné les marges de quelques remarques – ou plutôt de quelques corrections, exactement comme un prof sur une copie d’élève. Autant je peux comprendre qu’on prenne des notes en marge des livres (même si je ne le fais pas moi-même), autant ce besoin de corriger m’échappe un peu. À chaque fois que l’auteur cite l’en-tête d’une lettre d’Oswald, et que le traducteur a noté : « Chers messieurs », le lecteur a barré rageusement le « chers », ajoutant même une fois dans la marge : « Mauvais traducteur ! » Il est aussi adepte du point d’exclamation scandalisé pour souligner une faute qui lui a sauté aux yeux. Il croyait peut-être que le traducteur prendrait connaissance de ces corrections ? Le résultat, c’est qu’à chaque fois que je repère une coquille que ce rigoureux veilleur n’a pas soulignée, je suis surtout offusqué par son manque de vigilance. « Quoi ? Il ne l’a pas lue, cette page ? Il dormait, ou quoi ? »


Mercredi 19 juin.
           
J’écris mon texte sur l’adaptation pour la Bibliothèque de Jupiter. Pas un très bon texte, cette fois. J’ai parfois un peu de mal à doser équitablement l’humour et la réflexion, ou l’analyse pertinente… Pertinente, elle ne l’est d’ailleurs pas toujours. En l’occurrence, sur les adaptations cinématographiques, je ne suis pas persuadé d’avoir une opinion très originale…


Jeudi 20 juin.
           
Après une longue période de disette où je culpabilisais à la fois de ne pas avoir d’argent et de ne pas me débrouiller correctement pour en gagner (i.e. : de ne pas trouver de travail), j’ai savouré ce retour à des finances un peu plus saines (et encore si précaires, pourtant) permis par ma nouvelle occupation de rédacteur web. J’avais besoin de ce passage pour me permettre de souffler un peu. Mais il est temps que ça cesse, que je retrouve un emploi un peu plus sûr pour la rentrée et que je me garde aussi du temps pour écrire des textes personnels, littéraires, et pas simplement ma petite chronique du jeudi. L’idéal serait que je me lance enfin dans un roman, mais il faudrait pour cela que je sois dessus tous les jours, et c’est cette discipline qui m’intimide encore…
           

Vendredi 21 juin.

            J’avais complètement oublié la Fête de la Musique ! C’est en me connectant sur Facebook et en lisant quelques statuts que ça me frappe. Ah ! Mais oui ! C’est ce soir ! Aucune envie de ressortir de chez moi pour aller me torturer les tympans. De toute façon, comme de son côté le soleil a complètement oublié l’été, c’est une raison suffisante pour rester chez moi. Oh ! Il y aurait sûrement eu beaucoup de filles très mignonnes, dans les rues, ce soir – mais de ce temps-là je doute qu’elles aient osé les tenues légères…


Samedi 22 juin.
           
            Je suis plongé dans le livre que m’avait conseillé Guillaume, Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère et retrouvé l’amour, histoire de zombies racontée par un zombie, hilarante, et même émouvante parfois – et c’est un sacré challenge d’émouvoir avec les peines d’une bande de morts-vivants ! En tout cas, c’était exactement la lecture dont j’avais besoin en ce moment où je revois la série The Walking Dead. Série qui, décidément, est bien meilleure que ce que j’avais cru la première fois que je l’avais vue. Il est vrai que la première saison n’est pas une réussite, mais la deuxième est un régal d’hémoglobine et de démembrements. Et les personnages gagnent en complexité…


Dimanche 23 juin.

            J’avais prévenu ma mère que je serais à Paris le week-end prochain, mais elle avait compris qu’il s’agissait de ce week-end, et elle n’a pas fait appel à moi hier pour l’aider à déménager. Je m’étais étonné qu’elle ne m’appelle pas, et je m’étais finalement dit qu’elle avait peut-être l’intention de déménager le dimanche, c’est-à-dire aujourd’hui, et non le samedi. Mais non, le déménagement a bien eu lieu hier, et par chance Erwan est venu accompagné de ses copains. En revanche, ma mère me demande tout de même un petit coup de main pour apporter quelques pans de meubles à son appartement, ce que je fais avec Émile et elle. C’est assez rapide et je peux ensuite retourner à mes écrits – c’est-à-dire en ce moment les bios de starlettes.


Lundi 24 juin.

            Moi qui avais voulu me débarrasser assez rapidement de la dizaine de bios que je devais écrire pour le 1er juillet, afin d’en toucher la rémunération à temps pour mon week-end parisien, je me retrouve encore embourbé là-dedans, et particulièrement fatigué. Je parviens tout de même à en écrire trois aujourd’hui, il ne m’en restera donc plus que deux à traiter demain. En l’espace de dix jours, j’ai donc eu à me farcir, entre autres, James Blunt, Justin Timberlake, Keith Richards, Lorie, M Pokora, Marc Levy, Marilyn Manson ou encore Mazarine Pingeot. Tout en rédigeant des commentaires sur des livres et des bandes dessinées (une vingtaine en tout). Éclectisme est mon deuxième prénom. J’en viens à bout, mais j’ai encore à écrire ma chronique pour jeudi et mon texte pour la soirée Zapoï. Dire qu’il y a trois mois à peine, j’étais encore un fainéant…


Mardi 25 juin.

            Ce matin, j’ai décidé de revenir au Juldé modèle 2011, et je me suis rasé la barbe. So vintage I am !

            Vingt jours… Vingt jours qu’on nous emmerde avec la mort de Clément Méric ! Aujourd’hui, c’est RTL qui évoque une vidéo qui confirmerait la thèse selon laquelle Méric aurait provoqué les skinheads, reçu un ou deux coups de poing, et serait mort des suites de ces coups. Cette mort est tragique, et je trouve tout aussi lamentables les discours selon lesquels Méric n’aurait eu que ce qu’il méritait, que les récupérations politiques de la gauche. Les affiches « Ni oubli, ni pardon » du Front de Gauche sont à vomir, et les commentaires de l’extrême droite insultant Méric me dégoûtent tout autant. Mais ce qui m’énerve le plus, c’est qu’un simple fait divers ait été transformé en phénomène de société, et un gamin victime d’une bagarre qui a mal tourné en une espèce de nouveau Martin Luther King, ou de nouveau Malik Oussékine… Pourtant, ce n’est que ça : une bagarre qui a mal tourné, un fait divers lamentable qui ne méritait guère qu’un entrefilet dans Le Parisien… Clément Méric, mort pour ses idées ? Faut quand même pas déconner… « Descendez, sales fachos, on va vous massacrer ! » – c’est des idées politiques, ça ? Mais c’est une insulte à la mémoire de tous ceux qui sont réellement morts pour leurs idées ! Mélenchon et sa clique n’ont vraiment aucune honte…
           
            J’ai enfin terminé mes bios, ayant traité le cas de Mimie Mathy ce matin et celui de Mischa Barton ce soir. Ça m’a crevé, tout ça. Ou peut-être est-ce le fait de ne plus savoir me coucher avant trois ou quatre heures du matin, va savoir…


Mercredi 26 juin.
           
Toujours à court d’idées pour ma chronique – rien ne m’emballe vraiment dans la longue liste de thèmes que j’ai rédigée sur mon carnet – je décide, pour cette semaine, de parler de la page blanche. Un jour, il faudra que je paie pour toutes mes impostures.
           

Jeudi 27 juin.
           
J’écris mon texte pour la soirée Zapoï, sans grande difficulté. Un bon discours, je pense. Qui, bien lu, pourrait même être assez émouvant…
           

Vendredi 28 juin.
             
            La terrasse du Marais est déjà bien achalandée quand j’arrive pour la soirée Zapoï. J’ai mon discours dans la poche arrière de mon jean, je suis prêt à le dégainer à tout instant, et j’ai plutôt la forme, ce soir. Je suis en mode « social », paré pour les discussions, et j’ai affûté mon humour avant de venir. Après avoir salué ceux de la terrasse – Yoan, Candice, Simon et Séverine, Gérald et Émilie, Charles et Marie, etc. – je vais voir Anthony, Stan, Gabriel, Antoine, et d’autres à l’intérieur. Le Zapoï n° 4 est là, disposé sur les tables  et sur le comptoir par paquets de trois, en éventail. Un peu psychorigide, comme présentation… Je propose d’ailleurs qu’on adopte pour devise « Drôle et psychorigide » pour notre revue – un peu comme le « bête et méchant » de Hara-Kiri… Je discute un moment avec Yoan, on cause de notre « job » de rédacteurs web, mais aussi du jeu vidéo The Last of Us, de la série Walking Dead et des films de zombies en général. Il n’y a pas de chorale punk ce soir pour me piquer la vedette, mais je dois tout de même décider du meilleur moment pour faire ma lecture, et du meilleur endroit : à la terrasse, ou à l’intérieur ? Quand je lis à voix haute, je m’enflamme facilement, et j’ai la voix qui porte – mais à l’extérieur, je cours le risque de m’abîmer la gorge, et j’aimerais pouvoir en faire encore usage ce week-end à Paris… Ce sera donc à l’intérieur. Quand on a décidé que le moment était venu, Anthony stoppe la musique, Charles s’installe au piano pour me faire une petite introduction, les buveurs de la terrasse sont priés de rentrer dans le bar, et je me lance dans un hommage vibrant à ce grand inconnu que fût Jean-Noël Gerboin.

            Mon discours fait un tabac, je crois bien n’avoir jamais eu un public aussi réceptif, et n’avoir jamais été aussi applaudi (ou alors peut-être à l’époque de Trompe la Mort, mais j’ai oublié). J’ai eu du mal à garder mon sérieux quand j’ai entendu Anthony éclater de rire à ma gauche, mais je suis venu à bout de mon hommage, en jouissant de l’écoute aussi attentive qu’amusée de l’assistance. On aurait entendu une mouche roter, et même elles n’osaient pas le faire. Je me mets à bavarder avec Gérald, qui a apprécié mes talents d’orateur (hum…), et nous causons notamment de l’« affaire » Clément Méric. Charles, avec qui je discute ensuite, m’apprend qu’il était à Paris récemment, et qu’en allant au Louvre il espérait un peu tomber sur Pierre Cormary – mais celui-ci travaille à Orsay, pas au Louvre ! Et d’ailleurs, comme je dois me lever tôt demain pour aller à Paris et voir justement Pierre, je ne m’éternise pas chez Dany. Je quitte le bar alors que les applaudissements ruissellent de la terrasse, lancés par Gérald, immédiatement imité par tout le monde. Merci, merci, c’est trop, vraiment…

Samedi 29 juin.
           
            Une légende tenace – alimentée, certes, par mon journal – veut qu’à chaque fois que je prends un train, il m’arrive des bricoles. Je le rate, il me rate, ce genre de choses… Cette fois, tout se passe sans problème : départ de Laval à 8 h 41, et je suis dans le train. En revanche, la femme de ma vie l’a loupé, une fois de plus. Celle-là, je ne la connais pas, je ne l’ai jamais vue, mais ça m’a l’air d’être une sacrée étourdie…

            Comme je n’ai rencontré aucun problème avec le train, il fallait nécessairement que j’en rencontre un avec l’hôtel. Je m’y suis pris un peu tard pour le réserver, et celui que j’ai pu trouver est assez cher, 85 euros la nuit. Et comme j’ai également tardé à renvoyer mes articles de commande, que ceux-ci ne m’ont donc pas encore été payés, et que mes possibilités de retrait sont ridicules, je ne peux pas utiliser ma carte bancaire. J’ai donc demandé à Pierre de me prêter en liquide de quoi payer ma chambre, en lui laissant un chèque qu’il pourra déposer dans la semaine. Je me rends donc à l’hôtel de l’Europe, dans le XIVe, l’esprit tranquille : puisque je vois Pierre ce soir, je n’aurai aucune difficulté à payer ma chambre demain.

            Dès le début, pourtant, je sens que quelque chose ne va pas, dans cet hôtel… Quand j’arrive, à environ un jet de pierre de l’entrée, je vois qu’un type qui fait le pied de grue devant l’entrée de la partie restaurant, sans prendre la peine de me saluer, se retourne vers l’intérieur pour gueuler à son collègue : « V’là un client pour toi ! » Bon. Le manque de courtoisie est peut-être une coutume locale, je ne m’en formalise pas. J’entre dans la partie hôtel, explique que j’ai réservé une chambre, qu’il est peut-être un peu tôt pour qu’elle soit prête (il est à peine onze heures), mais que j’aimerais poser mes affaires quelque part – le truc habituel. Le réceptionniste m’écoute distraitement, me coupe : il ne veut pas m’enregistrer maintenant, je n’ai qu’à laisser mes bagages ici, lui ne pense qu’à retrouver son lit. Ah ! Bon, d’accord : s’il a veillé toute la nuit, je peux comprendre qu’il ait envie d’expédier rapidement les derniers clients… Mais des horaires de nuit qui s’achèvent à onze heures du matin, ça existe vraiment, ça ?

            Bref. Je laisse mes affaires dans un coin et retrouve le métro qui me dépose à Saint-Sulpice. Je prends de l’avance sur mon après-midi en visitant déjà quelques librairies, à commencer par La Procure. Je rejoins le boulevard Saint-Michel en traversant le Luxembourg. C’est fou ce que les gens sont pressés à Paris : même dans les jardins publics, ils courent. Et pour tourner en rond, en plus ! Enfin, parmi ces joggeuses il y en a de bien mignonnes, tout de même, avec des corps impeccables… L’exercice qu’elles pratiquent par petites foulées entre le Sénat et l’École des Mines serait-il une explication à leurs silhouettes parfaites ? Le sport serait donc bon pour la santé, contrairement à ce que j’ai toujours cru ? Si j’avais su…

            Je ne compte pas acheter grand-chose ce week-end – je ne peux pas vraiment me le permettre, de toute façon – mais je compense en bavant (intérieurement) devant toutes les jambes féminines qui passent. Mentalement, je me glisse sous des dizaines de jupes et de robes, m’égare dans des décolletés… Je déjeune au McDo, et commande par erreur un Royal Deluxe. Je voulais un Royal Cheese, le hamburger qui contient tout ce que j’aime… Le Deluxe contient tout ce que j’aime mélangé à ce que je n’aime pas. Mais bon, j’ai faim et j’ai payé, alors je mange.

            Je suis de retour à l’hôtel en début d’après-midi, bien décidé à prendre possession de ma chambre, cette fois. C’est là que les ennuis commencent. Le réceptionniste, qui ressemble étrangement à celui que j’ai vu le matin (Joseph K., au secours !), me demande de payer tout de suite. Je lui explique que ce n’est pas possible, qu’un ami doit me prêter de l’argent, mais que je ne le verrai que ce soir. Alors, il ne me donnera la chambre que ce soir. Euh… Oui, mais je risque de ne revenir que vers deux heures du matin, avec le dernier métro ! Est-ce que le réceptionniste de nuit s’occupe aussi des réservations ? Le type me coupe : « Il faudra voir ça avec le boss, il sera là dans l’après-midi… » Je ne vais pas rester toute l’après-midi ici, quand même ? Il ne sait me dire que ça : « Il faut voir avec le boss ! » Le boss… Maintenant, quand j’entends ce mot-là, je vois toujours un boss final de jeu vidéo, le genre qui vous tue en un coup… Et comme j’essaie d’argumenter, il ne cesse de me donner la même réponse. Je ne voudrais pas paraître raciste (parce que c’est mal), mais mon interlocuteur a des origines arabes, et elles rendent la conversation difficile. On sent qu’il ne comprendra que ce qu’il voudra, en gros, et dès que j’essaie de trouver un arrangement, il m’interrompt. Pour finir, il me demande d’attendre, parce que des clients asiatiques viennent d’arriver, et qu’il téléphonera ensuite au « boss » (okay, alors « R » pour recharger, clic gauche pour tirer…).

            Je m’assois à une table… et il m’appelle aussitôt ! « Vous parlez anglais ? » Ce réceptionniste décidément merveilleux ne connaît pas l’anglais, et me demande de lui servir d’interprète pour ses clients asiatiques, un homme et deux femmes. Espérant que mon dévouement me vaudra un peu d’indulgence de sa part, j’apporte bien volontiers mon aide dans cette affaire. Du reste, je n’ai qu’à me dire que ce sont les clients que j’aide surtout, car ils sont très sympathiques, et non pas l’employé… J’ai du mal à croire qu’un réceptionniste d’hôtel soit incapable de se débrouiller pour donner des explications en anglais, d’autant plus que généralement, les clients demandent toujours à peu près la même chose… Ah ! Si, il a su dire breakfast, quand même… En tout cas, je me suis rendu utile, et j’ai sympathisé avec ce groupe d’Asiatiques – même si j’ignore s’il s’agissait de Chinois, de Japonais ou de Coréens…

            Une fois achevées ces tractations avec l’Orient, le réceptionniste retrouve son disque : « Le boss sera là dans l’après-midi, vous verrez ça avec lui. » Il n’est plus question de lui téléphoner, visiblement. J’en ai marre, je m’en vais.

            De retour à Saint-Michel, je décide d’appeler Pierre, pour savoir s’il est chez lui, afin de régler ce problème avant la nuit. Il est bien là, en train d’écrire un texte, il me propose de passer dans une heure, ce qui lui permettra de faire une pause. Parfait, en attendant je passe d’une librairie à l’autre sur le Boul’Mich’ en reluquant des tas de jambes qui vont par deux, toujours un peu au bord de la tachycardie.

            D’un métro l’autre, je me retrouve chez Pierre, qui va donc pouvoir me prêter l’argent tout de suite. Il vient d’effacer par mégarde une page fraîchement écrite, je ne vais donc pas pouvoir rester longtemps : il a du pain sur la planche pour la réécrire. Oui, je sais ce que c’est, d’avoir passé des heures à rédiger quelque chose pour s’apercevoir ensuite que tout a disparu et qu’il va falloir recommencer – je compatis sincèrement. Je lui raconte mes mésaventures hôtelières avant de le laisser retourner au travail.

            Moi, je reprends le métro pour retourner à l’hôtel. J’avais largement assez de tickets de métro pour ce week-end parisien, mais je suis en train de tous les utiliser dans ces allers-retours inutiles. Et mes ennuis ne sont pas finis : je laisse au réceptionniste les deux billets de cinquante euros que vient de me confier Pierre, et… il n’a pas de monnaie ! Il me donne la clé de ma chambre, m’explique qu’il me rendra la monnaie plus tard – je sens le coup fourré. D’autant plus qu’il a calculé le prix de ma chambre sans voir qu’en la réservant par Internet, j’en avais déjà payé une partie ! Il a noté qu’il devait me rendre six euros, alors qu’il doit m’en rendre 15,50 – on est loin du compte… Ce n’est que dans ma chambre que je me suis aperçu de cette erreur, que je lui ai précisée en redescendant. Il était en train de recompter une pile de billets avec un autre employé (le fameux boss ?) et m’a prêté une oreille assez distraite. Mais dans quel endroit je suis tombé, moi ? C’est dans ces moments-là que ma gentillesse coutumière et ma timidité deviennent de terribles handicaps. J’aurais dû me mettre en colère et exiger ma monnaie sur-le-champ – mais j’étais déjà pas mal engagé dans la rue du Père Corentin quand ma colère s’est réveillée. Jamais là quand on a besoin d’elle, celle-là, et maintenant elle va m’empêcher de jouir pleinement du fait de me promener à Paris, sous le soleil, avec des filles toutes plus belles les unes que les autres, entre le boulevard Saint-Germain et la FNAC des Halles…

            À 20 heures, je suis chez Pierre. Il y a déjà Jean-Rémi et Élise, et un fond musical de jazz qui n’a pour but que de punir Jean-Rémi, qui n’aime pas le jazz. Le thème de cette soirée vidéodrome étant le châtiment, nous aurons tous droit au nôtre. Le mien, c’est de ne pas boire d’alcool ce soir (je m’en sors plutôt pas trop mal). Mais comme Pierre est avant tout un grand masochiste, il remplace le jazz par des chansons de Damien Saez, l’inénarrable « Fils de France », et bien sûr « J’accuse » – où l’on sent bien que la révolution passe d’abord par une réinvention intégrale de la prononciation du français (« J’aqueuse !… Au mégaphone dans l’assemblaie !!!... »). C’est à ce moment qu’arrive Cécile, qui se demande un instant si Pierre n’aurait pas brusquement décidé de rejoindre le Front de Gauche… Julien et Vanessa se présentent à la porte avec un peu de retard, on imagine pour eux toute une série de châtiments exemplaires. Quant à Anne, elle ne sera pas des nôtres : elle passe ses vacances en Bretagne, ce qui nous semble déjà une punition suffisante.



            Bizarrement, ce thème du châtiment m’a assez peu inspiré. Honneur aux dames, Élise donne le premier coup de fouet avec Orange mécanique, évidemment. Deux extraits du film de Kubrick : Malcolm McDowell en enfant de chœur lisant la Bible et s’imprégnant profondément des scènes de tortures, de viols et de batailles qui y sont décrites ; et bien sûr, les yeux écarquillés devant les écrans de la méthode Ludovico. Pierre profite de l’occasion pour placer son analyse freudienne d’Orange mécanique : « Dans la première partie, on est dans le Ça : on n’obéit qu’à ses pulsions, à son animalité ; puis vient l’éducation, le Surmoi ; et la troisième partie correspond au Moi avec ses interdits, ses complexes, ses tabous… »

            Cécile enchaîne avec un extrait de The Dark Knight (Christopher Nolan, 2009). Batman face au Joker, et Gordon face à Harvey Dent. Pierre critique le choix de Cécile : nous ne sommes plus dans le châtiment, mais dans la vengeance (ce qui disqualifie d’emblée un extrait que j’avais choisi de montrer : le duel final d’Il était une fois dans l’Ouest). Cécile soutient qu’il s’agit bien d’un châtiment « déviant », et non pas d’une simple vengeance, puisque le hasard – un choix à pile ou face – fait partie intégrante du supplice.

            Ce débat nous anime un moment pendant qu’on déguste nos japonaiseries habituelles. Puis nous retournons à nos moutons avec Vanessa et La Secrétaire (2002). Maggie Gyllenhaal et James Spader dans leurs relations de boulot. Humiliations, fessées et reniflements devant la machine à café.

            Châtiment oblige, je n’avais pas le droit de passer à côté d’If…, le film de Lindsey Anderson (1968) dans lequel Malcolm McDowell fait son apprentissage de future orange mécanique. L’éducation anglaise dans toute sa splendeur. Les meilleurs élèves font les meilleurs pions, et l’ordre règne à coups de verge. Les mauvais élèves comptent les coups en serrant les dents… les spectateurs aussi.

            Jean-Rémi reste dans l’esprit du collège anglais avec Harry Potter et l’Ordre du Phénix. Harry Potter ne doit plus mentir et Dolorès Ombrage – sorte de poupée Klaus Barbie en tailleur rose – s’évertue à lui faire entrer cette règle morale au plus profond de la chair. Pierre constate qu’ici, il est impossible de jouir de ce châtiment avec Ombrage, parce qu’elle-même en jouit trop. « Oui, elle surjouit », j’ajoute.



            Fini de rigoler : Julien nous refait passer à table avec Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant, de Peter Greenaway (1989). Ici, on mange de tout : ce soir, c’est amant aux petits oignons. Et on commence par la queue, le meilleur morceau… Bon appétit ! Cécile, qui voulait manger une pêche, attendra un petit peu.

            Pierre veut enfoncer le clou avec une rareté de Peter Greenaway, The Baby of Mâcon (1993). Pour l’occasion, il a ressorti la VHS. Beauté des châtiments religieux, ou comment exécuter une jeune fille que la virginité rend intouchable ? En organisant un viol collectif pour que la virginité ne soit plus qu’un mauvais souvenir… Cette joyeuse partouze bénie par l’Église, et un peu longuette, n’est pas du goût de Cécile, qui s’exclue elle-même de l’assemblée. Du coup, on est un peu gênés, nous autres…

            Heureusement, Élise est là pour nous ramener à quelque chose d’un peu plus léger. C’est une règle quasi immuable, dans les vidéodromes : trouver un extrait de Harry Potter et un autre de Kaamelott. Harry Potter, c’est fait, donc voici Kaamelott, Livre III : « Le Magnanime ». Ou comment trop de châtiments peuvent finir par écœurer même un grand amateur du genre comme le seigneur Léodagan…

            Cécile propose Jane Eyre. Je trouve pour ma part que Charlotte Gainsbourg est déjà une sorte de châtiment pour le cinéma français (mais je m’égare). Éducation religieuse « à la dure », feu purificateur et gamelles dans les escaliers.

            Jean-Rémi enchaîne avec un savoureux nanard, Le Choc des Titans (1981). Les dieux sont en colère, tempête dans les temples grecs, une statue en perd la tête. « Il lui faudrait une Minerve », dis-je à tout hasard. En fait, c’est Thétis, qui se met à parler avec de superbes effets spéciaux d’avant-guerre, pendant que le décor s’effondre et que les acteurs bougent les pieds pour montrer que la terre tremble.

            Je ne fais pas vraiment honneur à la série The Walking Dead en en montrant un extrait des plus improbables : une scène coupée de la saison 2 dans laquelle Dale fouille des bagnoles sur l’autoroute et écoute à la radio un prédicateur se réjouir de l’invasion des morts-vivants, juste châtiment du Ciel. Un extrait garanti 0 % de matière zombie (je devrais avoir honte).

            Julien nous invite dans le Cercle de la Merde du Salò de Pasolini. Est-on encore dans le châtiment ou dans le simple divertissement ? De jeunes éphèbes présentent leurs croupes : celui qui aura le plus joli cul sera mis à mort. Ou pas…

            Vanessa a choisi Seven, de David Fincher, un film qui est à lui-même une sorte d’anthologie du châtiment. Ultime péché, celui de la colère – ou comment Brad Pitt tombe dans le piège du tueur. Un remake de L’Arroseur arrosé, en somme…

            Pierre nous montre comment un châtiment peut se retourner contre celui qui l’a prononcé, avec Le Barbier de Sibérie, de Nikita Mikhalkov. Trois extraits où revient en boucle la déclaration : « Mozart était un grand compositeur ! » Un général qui aurait eu toute sa place dans Full Metal Jacket, face à un troufion mélomane et obstiné.

            Ça ne rigole plus avec The Reader, que propose Cécile. Kate Winslet en ancienne gardienne SS faisant face à ses juges et à ses ex-collègues. L’analphabétisme mène à tout…

            Nous étions trois à avoir apporté Dogville : Jean-Rémi, Julien et moi. Quatre en comptant Pierre, qui n’avait pas besoin de l’apporter, puisqu’il joue à domicile. C’est donc Jean-Rémi qui montre la destruction de Dogville par Grace la bien nommée. Et l’on retrouve le sens premier du châtiment, qui n’est autre que la purification par le feu.


            Pierre conclut la soirée avec la fin d’Autant en emporte le vent. Où Rhett Butler prouve à Scarlett O’Hara que l’amour lui-même peut-être un châtiment. « Franchement, ma chère, c’est le cadet de mes soucis. »
            Voilà, la soirée s’achève, et avant que nous ne quittions Pierre pour attraper les derniers métros, on décide du thème du prochain vidéodrome : le temps. Il va y avoir de la DeLorean dans l’air !

            Élise, Cécile, Vanessa, Julien, Jean-Rémi et moi nous quittons sur le quai du métro. Je prends la ligne 10, puis la 4 pour rejoindre mon hôtel, qui est un peu mon châtiment à moi.


Dimanche 30 juin.
           
            Ma chambre est correcte, je ne peux pas me plaindre à ce sujet, et le petit déjeuner est convenable également – sans plus. Bon, je trouve le beurre fadasse, comme d’habitude, et ne m’en formalise pas : étrange coutume, tout de même, que d’imposer le beurre doux dans les hôtels (me dis-je in petto). Et soudain, j’entends le couple de la table d’à côté demander au réceptionniste du beurre demi-sel, et celui-ci répliquer : « Ah ! Vous êtes de la Bretagne, vous ! » Quoi ? Il n’y a donc que les Bretons à aimer que le beurre ait du goût ? Décidément, le reste du monde est un peuple bien étonnant…

            Bref. Je m’attelle à mon journal le matin, jusqu’à dix heures et demie, puis je prends mes affaires pour quitter l’hôtel, bien décidé d’abord à récupérer mon argent… et c’est en ouvrant ma porte que je retrouve mon réceptionniste (et vraiment, j’ai l’impression que c’est toujours le même gars !) au beau milieu du couloir, en train de faire les chambres. De plus en plus kafkaïen… C’est donc dans ce couloir, entre deux portes, qu’il va me régler ce qu’il me doit, et avec l’air, en plus, de ne pas avoir beaucoup de temps à me consacrer, évidemment, puisqu’il doit s’occuper des chambres. Je me sens un peu comme Jack Nicholson dans Shining – mais un Jack Nicholson encombré par ses bagages et coincé dans un couloir encombré de draps. Pour reprendre le raisonnement de Nicole Kidman dans Dogville : s’il y a bien un endroit dont le monde peut se passer, c’est l’hôtel de l’Europe, Paris XIVe.
           
            Saint-Germain le dimanche matin, c’est un peu le désert. Bon, un désert parisien, c’est-à-dire assez peuplé quand même – mais la circulation est calme, les terrasses des cafés se remplissent petit à petit… Je traîne du côté des bouquinistes sur les quais, avant de retourner chez Pierre à 13 heures. Évidemment, je photographie du regard toutes les beautés qui passent.

            Pierre m’a invité pour déjeuner d’une flammeküche, ce qu’on fait en causant essentiellement écriture, cinéma – à propos de Man of Steel qu’il a vu mais pas moi (je vais me rattraper) et du Gatsby de Baz Luhrmann. On cause aussi de l’affaire Clément Méric et des skinheads. Sur l’histoire du mouvement skin, parallèle au punk, je suis plutôt bien informé. Je lui explique donc la genèse de tout ça, et la raison pour laquelle « antifas » et skinheads partagent la même garde-robe. Cette thématique nous amène à causer des deux grands totalitarismes du XXe siècle : le gentil et le méchant. On rejoue Stalingrad en mangeant des pêches.

            Après avoir pas mal discuté, je laisse Pierre retourner à ses écrits, et je retourne à mes pérégrinations. Je ne sais pas combien de kilomètres à pieds j’aurai fait ce week-end, mais ça doit être assez honorable. Hier, j’ai vu passer le cortège de la Gay Pride sur le boulevard Saint-Michel, aujourd’hui c’est celui de la Manif pour tous que je vois défiler sur le boulevard Saint-Germain. Avec un peu plus d’organisation, ils auraient pu se croiser, c’est bête… Je prends un bain de foule sur le parvis de Notre-Dame : plus il y a de touristes, plus il y a de jolies filles à mater. À la fin, je décide de rejoindre la gare Montparnasse à pieds, en coupant par le Luxembourg sans me faire écraser par des joggeurs du dimanche.

            Voyage du retour sans histoire, une fois de plus. J’arrive à Laval à 20 h 15, dîne et, au lieu de me mettre à mon journal, écris l’une des trois bios que je dois rendre prochainement – en luttant contre la fatigue.