samedi 29 juin 2013

Hommage à Jean-Noël Gerboin (1950-2013)



Mesdames, messieurs,

            Au nom de toute l’équipe de Zapoï, je suis heureux de vous accueillir chez Dany pour cette quatrième soirée. En cette occasion, bien sûr, nous allons rire, nous allons boire (enfin, surtout vous), nous allons faire des rencontres et peut-être même – qui sait ? – commettre un attentat à la pudeur ou deux.
            Avant de nous laisser aller à la débauche, j’aimerais tout de même profiter de cette occasion pour honorer la mémoire d’un homme. Vous le savez sûrement, à Zapoï, nous aimons les hommages. Nous aimons les célébrations. Bon, déjà parce que ça nous permet de picoler, hein, on va pas se mentir… Mais aussi parce qu’au fond, sous nos dehors bourrus, on aime profondément les gens. Si, si. Surtout les anonymes, les gens de l’ombre, ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir la « couverture médiatique » qu’ils méritaient. Ceux à qui l’Histoire n’a pas donné leur place.
            L’homme à qui je veux rendre hommage ce soir fait partie de ces grands oubliés. Cet homme, c’est Jean-Noël Gerboin, qui vient de nous quitter, terrassé par une crise cardiaque dans sa soixante-troisième année.
            Qui était Jean-Noël Gerboin ? Qu’a-t-il fait ?
            Eh bien, mesdames, messieurs, Jean-Noël Gerboin a inventé quelque chose. Oh, rien de gigantesque, et je dirais même rien de véritablement utile – et pourtant, chaque semaine, partout en France, dans toutes les usines, toutes les administrations, Jean-Noël Gerboin est volé. Pillé. Sacrifié sur l’autel de la plaisanterie, du bon mot, de la petite phrase pour faire rigoler les collègues.
            Mais qu’a-t-il inventé, ce Jean-Noël Gerboin ? Vous vous interrogez, vous êtes pendus à mes lèvres, vous en oubliez presque de boire ! Mesdames, messieurs, Jean-Noël Gerboin fût tout simplement le premier, alors qu’un collègue de travail lui demandait : « Comment ça va, ce matin ? » à avoir répondu : « Comme un lundi. »
            Comme un lundi !
            Voilà, mesdames, messieurs, la trouvaille de Jean-Noël. Une toute petite chose. C’était le lundi 14 octobre 1985. Retenez bien cette date : 14 octobre 1985. Ce jour-là, au bureau de poste de Sainte-Maur-de-Touraine, où il était employé au tri, rien ne laissait supposer qu’une phrase historique, qui ferait bientôt le tour de tous les bureaux, de toutes les usines du pays, allait être prononcée.
            Jean-Noël raconte la scène, dans ses Mémoires (dont aucun éditeur, jusqu’à présent, n’a jamais voulu).

            « Lundi, comme d’habitude, je me pointe avec un peu d’avance, le temps de boire un jus avant de me mettre au boulot. Autour de la machine à café, je salue distraitement Geneviève et Michel. Celui-ci, comme toujours, me dit : « Alors, Jeannot, comment ça va ? » Et, comme toujours, je m’apprête à lui répondre : « Ça va, et toi ? » Mais une inspiration subite me vient, et je lâche : « Ben… Comme un lundi… » Michel est un peu décontenancé, ne pige pas tout de suite, et se met à rire bêtement : « Ah ouais, pas con. Comme un lundi. Ah c’est un bon, le Jeannot ! » Geneviève, qui a compris tout de suite, elle, porte sur moi un regard intense, brûlant – comme si elle me voyait pour la première fois… »

Fin de la citation.
Le lendemain, alors que le même Michel lui pose la même question, Jean-Noël Gerboin a l’idée saugrenue de lui offrir la même réponse. Le lendemain. Un mardi. C’est très important : non seulement, Jean-Noël Gerboin a inventé cette réplique que nous connaissons tous, que nous employons tous régulièrement – mais il a aussi inventé la subversion de cette réplique : le fait de répondre « comme un lundi » alors qu’on est mardi, ou même vendredi…
Alors, une question reste à poser : comment se transmettent les choses ? Les petites phrases, les blagues de Toto, les chansons de Bali-Balo que l’on connaît tous par cœur, sans être capable de citer le nom de leur auteur ? Comment, après ce lundi 14 octobre 1985, date historique, mais que vous ne trouverez dans aucun livre d’histoire – comment après ce lundi 14 octobre 1985 cette réplique s’est-elle répandue ? Selon quels réseaux, quels circuits souterrains, de quelle bouche à quelle oreille ?
Le fait est que notre Jean-Noël a longtemps cru que cette plaisanterie, qui lui valût une popularité immédiate dans le petit bureau de poste de Sainte-Maur-de-Touraine (et une liaison passionnée avec sa collègue Geneviève), ne circulait qu’en vase clos. Qu’il n’y avait qu’ici, dans ce bureau de poste, que chaque semaine, le même rituel se répétait :
‒ Comment ça va ?
‒ Comme un lundi !
Ce n’est que le 6 avril 1992 que Jean-Noël s’est aperçu qu’il y avait un problème. Ce jour-là, il commençait son travail dans un nouveau bureau de poste, avec une nouvelle équipe, dans la ville de Saumur où il venait de s’installer. Il y avait bien longtemps qu’il avait renoncé à sa petite plaisanterie, qui ne faisait plus rire grand monde. Alors, quelle ne fût pas sa surprise lorsque, demandant négligemment à l’un de ses nouveaux collègues comment il allait, il entendit celui-ci répondre : « Comme un lundi ! »
Ce fût comme un cauchemar. Incrédule, il se mit à creuser les choses, à s’informer auprès d’amis qui travaillaient dans d’autres administrations – et bientôt, il s’aperçut que tout le monde utilisait cette réplique. Cette réplique qu’il avait inventée. Son bébé !
Mais comment en revendiquer la paternité ? Il aurait fallu déposer cette phrase, signer un copyright ! Comment aurait-il pu y songer ? Outrageusement pillé, cambriolé au quotidien par tout ce que la France compte de salariés, Jean-Noël Gerboin connut alors une descente aux enfers. Alcoolisme, divorce, licenciement, rhume des foins… Rien ne lui fût épargné.
C’est dans la misère, la solitude et la déprime que Jean-Noël Gerboin vécut les dernières années de sa vie, de petit boulot en petit boulot, dans toutes les régions de France. Et chaque fois, en entendant ses collègues prononcer cette fameuse réplique, SA réplique, il serrait les poings, ravalait sa rancœur.
Jean-Noël Gerboin est mort dans l’indifférence générale, oublié de tous. Alors mesdames, messieurs, s’il vous plaît, en retournant au travail lundi, quand vos collègues vous demanderont « Comment ça va ? », ayez une petite pensée pour Jean-Noël Gerboin.

Je vous remercie.


Texte lu à la soirée Zapoï, le 28 juin 2013.

jeudi 27 juin 2013

La page blanche



« Un poète ayant rimé,
             IMPRIMÉ
Vit sa Muse dépourvue
De marraine, et presque nue :
Pas le plus petit morceau
De vers… ou de vermisseau. »
Tristan Corbière, À Marcelle.


            Je dois vous avouer quelque chose : cette semaine, j’ai bien failli ne pas vous donner votre dose hebdomadaire de bavardages littéraires. Je n’avais aucune idée de sujet, ou vaguement, et ceux auxquels je pensais ne m’emballaient pas plus que ça… J’écris généralement cette chronique le mercredi, mais d’habitude, j’ai décidé de son thème dès le lundi ou le mardi. Cette fois, le mercredi à une heure de l’après-midi, je ne savais toujours pas de quoi j’allais parler.
            La page blanche et l’« angoisse » qui l’accompagne font partie de la vie de l’écrivain. Il doit fréquemment trouver des techniques pour combattre les pannes d’inspiration. Beaucoup ont des petits « trucs » qui leur permettent de déjouer les pièges de la sécheresse littéraire. Choisir pour sujet d’une chronique cette page blanche est un truc comme un autre. Je n’ai pas d’idées ? Écrivons sur notre manque d’idées : avec un peu de chance, le lecteur n’aura rien remarqué.
            Bon, comme je joue cartes sur table avec vous et que je vous explique mes petits trucs, vous l’avez évidemment remarqué. Mais faites comme si vous n’aviez rien vu…
            Comme les magiciens, les écrivains n’aiment pas trop montrer leurs « trucs ». La composition d’une œuvre doit rester un mystère, une étrange mixture d’alchimiste impénétrable aux profanes… Je profite du fait d’être encore un écrivain en herbe pour dévoiler certaines choses. Quand j’aurai pondu cinq ou six Goncourt, faudra plus venir me demander quoi que ce soit.
            Le thème de la page blanche et du procédé original pour la vaincre a d’ailleurs nourri quelques ouvrages, dont le plus célèbre est sans doute celui de Raymond Roussel, Comment j’ai écrit certains de mes livres. Dans ce livre, l’auteur d’Impressions d’Afrique juge utile d’expliquer sa technique de travail, « car j’ai l’impression que des écrivains de l’avenir pourraient peut-être l’utiliser avec fruit. » Cette technique, consistant à prendre deux mots presque identiques, comme billard et pillard, et à les mêler dans une phrase à des mots semblables mais pris dans deux sens différents, lui permettait, pour relier la première phrase à la dernière, de dresser un scénario qui constituerait alors un récit à part entière.

            « En ce qui concerne billard et pillard les deux phrases que j’obtins furent celles-ci :
            1° Les lettres du blanc sur les bandes du vieux billard…
            2° Les lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard.
            Dans la première phrase, « lettres » était pris dans le sens de « signes typographiques », « blanc » dans le sens de « cube de craie » et « bandes » dans le sens de « bordures ».
            Dans la seconde, « lettres » était pris dans le sens de « missives », « blanc » dans le sens d’« homme blanc » et « bandes » dans le sens de « hordes guerrières ».
            Les deux phrases trouvées, il s’agissait d’écrire un conte pouvant commencer par la première et finir par la seconde. »
           
On connaît aussi la fameuse recette de Tristan Tzara pour « faire un poème dadaïste » :

            « Prenez un journal.
            Prenez des ciseaux.
            Choisissez dans ce journal un article ayant la longueur que vous comptez donner à votre poème.
            Découpez l’article.
            Découpez ensuite avec soin chacun des mots qui forment cet article et mettez-les dans un sac.
            Le poème vous ressemblera.
            Et vous voilà un écrivain infiniment original et d’une sensibilité charmante, encore qu’incomprise du vulgaire. »
           
            Bien évidemment, ces « procédés », celui de Raymond Roussel comme celui de Tristan Tzara, n’ont été utilisés que pour l’occasion. Raymond Roussel n’a jamais eu besoin de choisir des mots phonétiquement proches et de les associer à des mots semblables pris dans des sens différents pour écrire ses textes, à l’exception précisément de ceux qu’il présente dans Comment j’ai écrit certains de mes livres. Et le seul poème dadaïste que Tristan Tzara ait jamais écrit en découpant des mots dans un journal est celui qui suit la recette citée plus haut.
            Il n’empêche que la contrainte est une méthode de création qui fera date, notamment à l’OuLiPo, l’Ouvroir de Littérature Potentielle créé en 1960 par Raymond Queneau et François Le Lionnais. Le lipogramme, qui consiste à écrire un texte sans employer une lettre choisie au préalable (l’exemple le plus célèbre étant La Disparition de Georges Perec, roman écrit sans la lettre e) ; ou encore la méthode S + 7, qui revient à remplacer chaque substantif par le septième qui le suit dans le dictionnaire, La Cigale et la fourmi devenant La Cimaise et la fraction, sont autant de procédés utilisés par les oulipiens pour créer.
Il y en a des dizaines d’autres, depuis l’abécédaire (« A Brader : Cinq Danseuses En Froufrou (Grassouillettes), Huit Ingénues (Joueuses) Kleptomanes Le Matin, Neuf (Onze Peut-être) Quadragénaires Rabougries, Six Travailleuses, Une Valeureuse Walkyrie, X Yuppies (Zélées) ») jusqu’au palindrome, en passant par la littérature combinatoire, qui a permis à Raymond Queneau d’écrire ses Cent mille milliards de poèmes
La contrainte littéraire est une bonne façon de remplir une page, et un exercice inévitable dans tout atelier d’écriture qui se respecte.
Et voilà que cette chronique, censée traiter de la page blanche et des affres de l’écrivain en panne d’inspiration, en est venue à parler de la littérature à contraintes, ce qui m’a permis de faire d’une pierre deux coups.
Pas mal, pour un texte qui m’est venu d’un manque d’idée…

jeudi 20 juin 2013

Les adaptations




« L’œuvre géante de Gutenberg qui domine notre histoire est la seule qui se puisse mettre de plain-pied avec celle des établissements du phonographe et du Cinématographe. »
François Dussaud, Depuis Gutenberg…, 1906.


         Faut-il pendre les cinéastes qui adaptent des œuvres littéraires ?
            Quand j’étais jeune (et je l’étais encore il n’y a pas très longtemps), je ne pouvais pas m’empêcher, à chaque fois que j’allais voir l’adaptation cinématographique d’un roman que j’avais lu, de m’offusquer de toutes les petites différences que je remarquais. Toutes, peut-être pas, j’avais une certaine indulgence : je savais bien qu’il n’était pas possible de représenter à l’écran tout ce que l’auteur avait mis dans son livre. Il n’empêche qu’à chaque fois que le cinéaste avait délibérément choisi de modifier le scénario du livre, alors que de toute évidence, rien ne l’empêchait de le suivre – j’étais scandalisé. « Eh, mais c’est pas comme dans le bouquin ! », combien de fois n’ai-je pas prononcé cette phrase, courroucé, les phalanges translucides à force de serrer mes petits poings de gentil blondinet ? Une bonne adaptation, c’était une adaptation fidèle. Si c’est pas comme dans le bouquin, c’est raté.
            Une bonne adaptation, est-ce une adaptation fidèle ?
Est-ce qu’adapter, c’est tromper ?
            Si seule la fidélité totale, absolue, à l’œuvre littéraire, est un gage de réussite, alors il n’y a guère que des adaptations ratées… Et si l’on réfléchit un peu à la question, quel intérêt y aurait-il à retrouver intact, mot pour mot, image filmée pour « image » écrite, l’œuvre qu’on a lue ? Oh, parfois, peut-être, notre âme de lecteur se sentirait flattée : « Ah ! Cette scène qui m’a tant plu dans le livre, comme elle est bien rendue dans le film ! » Mais à part ça ? C’est tout ? L’adaptation cinématographique ne serait qu’une illustration, alors ? Comme les gravures ornant chaque chapitre des romans de Jules Verne chez Hetzel ?
            L’adaptation cinématographique d’une œuvre littéraire, c’est la rencontre de deux univers : celui du cinéaste et celui de l’auteur. Comme l’avait remarqué Alain Absire un jour : quand Visconti adapte Le Guépard de Lampedusa, il crée une œuvre nouvelle – un film de Visconti. Quand il adapte L’Étranger de Camus avec une fidélité absolue, il disparaît derrière Camus – le film n’est qu’une illustration. Si Stanley Kubrick avait suivi paragraphe par paragraphe les livres de Nabokov, de Stephen King, d’Anthony Burgess ou de Thackeray, probablement qu’on ne parlerait pas beaucoup aujourd’hui de ses adaptations de Lolita, de Shining, d’Orange mécanique ou de Barry Lyndon.
Tenez, c’est un bon exemple. Combien de romans de Stephen King ont été adaptés ? Peut-être une trentaine, et certains plusieurs fois, à la télévision et au cinéma. Combien de ces adaptations sont aussi célèbres que le Shining de Kubrick ? Et pourtant, le lecteur fan de Stephen King, devant l’adaptation de Kubrick, pourrait s’arracher les cheveux : « Il n’a rien respecté du roman ! » En fait, non seulement Stanley Kubrick a su respecter Stephen King (son adaptation n’est pas un pillage en règle de l’œuvre, une paraphrase), mais il s’est respecté lui-même : il a fait un film de Stanley Kubrick.
Moralité : une adaptation n’est pas réussie lorsqu’elle est fidèle à l’œuvre littéraire, mais lorsqu’elle permet la naissance d’une autre œuvre – une œuvre cinématographique. Kenneth Branagh a fait une adaptation « fidèle » (qui ne l’est pas tant que ça, mais passons) du Frankenstein de Mary Shelley. Il a eu beau y mettre De Niro et Helena Bonham Carter, cela n’aura pas suffi à faire oublier l’adaptation « infidèle » (qui ne l’est pas tant que ça non plus) de James Whale, avec Boris Karloff, qui date de 1931 et a ancré la créature du bon docteur Frankenstein dans l’imaginaire collectif.
Quand un réalisateur s’empare d’un livre pour l’adapter, ce n’est pas en choisissant de l’interpréter à sa manière qu’il peut lui être infidèle – c’est en faisant un film raté. Tout simplement. Quand De Palma choisit d’adapter Le Dahlia Noir de James Ellroy, et qu’il rate son coup, il fait du tort à l’œuvre originale. C’était son droit de transporter l’atmosphère noire et poisseuse du roman dans un Los Angeles resplendissant de paillettes. Après tout, ce n’était pas une mauvaise idée : placer un crime abominable au milieu d’une ville paradisiaque, souligner le contraste saisissant entre ces deux mondes, pourquoi pas ? C’était son droit aussi de ne presque pas exploiter l’obsession nécrophile du récit d’Ellroy – quoique ce choix s’explique difficilement, un peu comme si un cinéaste décidait d’adapter Proust sans jamais évoquer le temps qui passe. Ce sont des partis pris artistiques. Le problème n’est pas là : le problème, c’est qu’il a raté son film.
Et quand Baz Luhrmann transforme Gatsby le Magnifique en une pantalonnade pour cabaret – pillant sans vergogne l’œuvre de Fitzgerald pour en faire Moulin Rouge 2 – c’est également un parti pris artistique. Un parti pris qui donne à l’amateur de Fitzgerald l’envie de frotter vigoureusement les joues du réalisateur avec un bloc de parpaing (jusqu’à ce que l’amateur de Fitzgerald prenne à nouveau conscience de ses inoffensifs petits poings de gentil blondinet).
La seule règle, finalement, quand on adapte une œuvre littéraire, ce n’est pas de rester fidèle à l’œuvre elle-même : c’est d’être un bon cinéaste, et de faire un bon film. Que les deux œuvres ainsi créées puissent s’alimenter l’une l’autre, et dialoguer.

jeudi 13 juin 2013

La suite



« Shéhérazade, en cet endroit, apercevant le jour, cessa de poursuivre son conte, qui avait si bien piqué la curiosité du sultan, que ce prince voulant absolument en savoir la fin, remit encore au lendemain la mort de la sultane. »
Anonyme, Les Mille et une Nuits.

            Vous êtes nombreux, après ma dernière chronique, à m’avoir demandé : « Mais alors ? Qu’est-ce qu’il se passe ensuite ? Comment diable t’es-tu extirpé de ce fichu pétrin ? Grâce à quel stratagème, à quel deux ex machina, n’as-tu pas fini en cure-dents pour crocodiles ? »
            (Non, en fait, vous n’avez pas été nombreux à me le demander, cette phrase n’est qu’un procédé littéraire. Aujourd’hui, les gens réclament la transparence absolue, je me dois donc d’être le plus honnête possible !)
            Oui, vous réclamez la suite, et vous avez raison. De tout temps, les hommes – comme écrirait un adolescent pour introduire le sujet de son devoir de philo (bonne chance pour le bac, les p’tits gars !) – de tout temps, donc, les hommes ont voulu connaître la suite de l’histoire. Fallait pas commencer. Fallait pas commencer à leur raconter des choses, et les laisser en plan au moment le plus palpitant, suspendus au-dessus du vide dans une cage de bambous. Ça se fait pas. C’est trop abusé.
            Les gens ont le droit de savoir.
            La pire blague qu’un auteur puisse faire à ses lecteurs est de mourir en laissant une œuvre inachevée. C’est d’une grande impolitesse, et le signe d’un laisser-aller honteux. Ne jamais rendre son dernier souffle avant le point final !
            Au Moyen Âge, époque bénie où les notions de droit d’auteur et de propriété intellectuelle de l’œuvre étaient inconnues (c’est Alain Minc qui aurait été heureux !), les récits inachevés ne le restaient pas longtemps. On ne parlait pas de « suite », mais de « continuation ». Ainsi, lorsque Chrétien de Troyes mourut maladroitement avant d’avoir achevé le Conte du Graal, en 1180, il laissa son héros Perceval, et tout le royaume de Camelot, face à une question sans réponse, cette question que Perceval n’avait pas osé poser au château du Roi Pêcheur, lorsqu’il vit passer le cortège du graal : « Qui sert-on de ce graal ? » Une question en apparence sans intérêt – imaginez que vous teniez votre lecteur en haleine en racontant un repas de famille : vous voyez passer un plateau, vous vous demandez qui va se servir en premier. Et paf ! Vous mourez avant d’avoir donné la réponse. Ce n’est pas tout à fait comme si Madame Michu s’était faite trucider et que vous aviez cassé votre pipe avant d’avoir livré le nom de l’assassin ! Et pourtant…
            Et pourtant, s’il y a un récit dont l’inachèvement a tourmenté l’histoire littéraire, c’est bien le Conte du Graal. Et cette bête question « do graal cui l’an en servoit » ne pouvait pas rester sans réponse. C’était un suspense bien plus insoutenable que d’être suspendu dans une cage au-dessus du vide !
            La première continuation du Conte du Graal, dite Continuation Gauvain, du pseudo-Wauchier de Denain, écrite à la fin du XIIe siècle, oublie presque totalement Perceval et se concentre sur Gauvain, en apportant de nombreuses modifications à la trame narrative élaborée par Chrétien de Troyes. C’est ensuite un roman allemand, le Parzifal de Wolfram von Eschenbach (vers 1203-1204), qui s’inspire du récit originel du Champenois. La Deuxième Continuation, ou Continuation Perceval (vers 1205-1210) se recentre sur le héros de Chrétien de Troyes, et ouvre la voie vers une christianisation du Graal. Robert de Boron, dans son Roman de l’Histoire du Graal, fixera cette christianisation, en s’inspirant à la fois de Chrétien de Troyes et de Wace, et en imposant la figure de Merlin, serviteur de Dieu – le Graal étant désormais associé à une relique. Cette christianisation ne cessera de se confirmer par la suite, jusqu’au cycle du Lancelot-Graal en prose et sa Quête du Saint Graal (vers 1220).
            « La suite ! La suite ! »
            On se souvient tous des Mille et une Nuits, et de l’idée géniale qui a germé dans la tête de Shéhérazade : promise au sultan Shahryar qui a l’habitude de faire exécuter chaque matin la femme qu’il a épousée la veille – afin de lui éviter la tentation de le tromper – elle lui raconte chaque soir une histoire dont la suite est reportée au lendemain. Le pauvre sultan, soumis à la torture du suspense, est bien obligé de la garder en vie, s’il veut connaître le fin mot de l’histoire. Ainsi, devant un récit qui nous prend aux tripes et qu’on ne peut lâcher, nous sommes tous un peu des sultans. De malheureux sultans, souffrant de la soif inextinguible d’en savoir toujours plus. « La suite ! La suite ! »
            Donc, oui : votre désir de m’entendre raconter la suite de mes aventures palpitantes est tout à fait légitime.

jeudi 6 juin 2013

L'aventure



« Vient un temps dans la vie correctement structurée de tout garçon où il est pris d’un désir irrépressible d’aller quelque part et de creuser pour découvrir un trésor caché. »
Mark Twain, Les Aventures de Tom Sawyer.





            Je suis plutôt casanier. Ce n’est pas moi qui partirais sur les mers du globe, fendant les flots à la recherche d’épaves pleines de trésor, ou d’une baleine blanche récalcitrante…
            C’est d’autant plus surprenant de me retrouver ainsi, enfermé dans une cage de bambous accrochée au-dessus du vide par je ne sais quel système compliqué de lianes et de branchages. Au-dessus du vide, pas tout à fait – si encore il ne s’agissait que du vide… Non : au-dessus de marécages infestés de crocodiles ! Ce qui est beaucoup plus contrariant.
            Je vous l’ai dit : j’aime bien les clichés. Mais là, quand même, je crois qu’on s’est donné beaucoup de mal pour me faire plaisir !
            C’est une situation qu’on a tous déjà rencontrée au moins une fois dans sa vie – dans un film ou dans un roman d’aventures. On sait bien qu’à un moment donné, le héros va réussir à se libérer, toute la question est de savoir comment. On est toujours surpris de découvrir la réponse… et souvent on s’efforce de l’oublier, pour pouvoir être à nouveau surpris quand on reverra le film ou qu’on relira le livre.
            Eh bien, croyez-moi, en ce moment, j’aimerais bien me souvenir ! Surtout que je suis sujet au vertige, et que je ne suis pas du genre super entraîné, si vous voyez ce que je veux dire. Plutôt du genre à avoir arrêté le sport en 85… Donc, l’idée de bander mes muscles pour arracher les barreaux de ma cage, me hisser au-dessus et gagner la terre ferme en me suspendant aux lianes, façon pont de singe, oubliez tout de suite. Je risquerais surtout d’y gagner une entorse, et il y a tout un tas de sacs à main remplis de dents, là en bas, qui y gagneraient un happy meal !
            Mais puisque je suis contraint à rester un moment dans cette situation, mollement ballotté au-dessus des sauriens, et que du coup, je n’ai rien d’urgent à faire, autant songer aux romans d’aventures. Il me viendra peut-être une idée…
            Je dois confesser une chose : je n’ai jamais lu Alexandre Dumas. Le fils pas plus que le père, d’ailleurs… C’est bien dommage, parce que je crois savoir qu’on s’évade beaucoup de prison, chez Dumas. Ah ! Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour avoir une édition de poche du Comte de Monte-Cristo, en ce moment !
            Croyez-moi, les jeunes : la lecture peut vous sauver la vie.
            C’est drôle : il suffit d’ajouter un qualificatif au mot « roman », pour basculer de la « grande » littérature à la littérature populaire (beaucoup moins noble, il va sans dire). Roman policier, roman d’anticipation, roman érotique, roman d’aventures… C’est que lorsqu’un genre littéraire apparaît, il est facile d’en définir les codes, les procédés, et de produire ensuite des imitations à la chaîne. Bien sûr, le roman policier, c’est Conan Doyle ou Simenon – mais malheureusement, c’est aussi Gérard de Villiers et San Antonio. Bien sûr que lorsqu’on parle de « littérature jeunesse », on peut penser à Tom Tom et Nana – mais il y a aussi Lewis Caroll, quand même…
            Bien sûr qu’en terme de roman d’aventures, on peut penser à Eugène Sue et au Club des Cinq – mais et Jules Verne ? Stevenson ? Conrad ?!? Et on peut même remonter le temps : Don Quichotte, La Quête du Graal, l’Odyssée !...
            « L’aventure est l’irruption du hasard, ou du destin, dans la vie quotidienne, où elle introduit un bouleversement qui rend la mort possible, probable, présente, jusqu’au dénouement qui en triomphe – lorsqu’elle ne triomphe pas », écrit Jean-Yves Tadié. Situation initiale : la vie est paisible dans le petit village de X., notre (futur) héros s’adonne à ses tâches quotidiennes, quand soudain – élément perturbateur – un individu, un événement, survient, qui va le pousser à abandonner sa tranquillité pour se lancer sur les routes, ou sur les mers (ou dans les airs, enfin vous avez compris…).
            En l’an de grâce 17…, la vie est paisible à l’auberge de l’Amiral Benbow, battue par les embruns, quand un vieux loup de mer traînant un coffre de marin en franchit le seuil. À partir de ce moment, le jeune Jim Hawkins va embarquer sur l’Hispaniola à la recherche d’un fabuleux trésor.
            Je n’ai pas lu Dumas, mais la lecture de L’Île au trésor quand j’avais onze ans a bouleversé ma vie. Je ne me suis pas lancé sur les mers, mais je crois que j’ai compris pour la première fois ce que c’était que raconter une histoire. Jim Hawkins avait deux ans de plus que moi, et je m’étais mis en tête que treize ans, c’était l’âge des aventures – l’âge où tout pouvait arriver. (Quand j’ai eu treize ans, mes parents ont divorcé et j’ai redoublé ma quatrième. Comme quoi…)
            Dans tout bon récit d’aventures, il vous faut un héros auquel le lecteur va facilement s’identifier. Dans la littérature destinée à la jeunesse, avoir un enfant pour héros, c’est l’idéal. Ajoutez-y l’objet d’une quête (un trésor, ça marche toujours), des adjuvants (les amis et les soutiens du héros), des opposants, des traîtres et des obstacles qui surviendront régulièrement sur la route, obligeant le héros à improviser, à modifier ses plans, à se battre pour survivre, etc. Et la longue tradition du roman-feuilleton incite à conclure un chapitre sur une question, ou mieux encore sur un événement qui mette le héros ou tout autre personnage en fâcheuse posture. Que le lecteur se demande : « Que va-t-il arriver ? » On appelle ça le suspense. Si l’auteur sait y faire, vous ne devez pas avoir envie de reposer le livre avant de l’avoir fini.
            Notons que le genre ayant évolué, ces règles ne s’appliquent pas à tous les romans d’aventures. Joseph Conrad, par exemple, ne cherche pas à conclure chacun de ses chapitres par un suspense insoutenable. C’est que l’aventure, chez Conrad, est autant intérieure qu’extérieure. Ce n’est pas tant ce qui advient sur la route du héros qui compte, que ce que la route produit en lui…
            Enfin, tout ça ne me dit pas comment je vais me tirer de ce mauvais pas. Ça a l’air de s’impatienter, en bas, au rayon maroquinerie… Je m’apprête à poursuivre mes réflexions quand soudain, une flèche, venue de nulle part, vient se planter dans un barreau de bambou, à quelques centimètres de mon visage !

mercredi 5 juin 2013

Stephen King et les revenants

Journal d'oisiveté
Mai 2013


Mercredi 1er mai.

            Pluie et grisaille toute la journée : c’est parfait ! Je n’ai donc aucun regret à rester enfermé chez moi et à terminer mon texte sur la guerre. Ensuite, je me lance dans la rédaction de cette synthèse sur mes recherches concernant le grand-père Chabrun, que je destine à la famille. Je pensais que j’en aurais pour une petite heure à peine : en fait, j’y passe toute la soirée et je suis même obligé de m’interrompre pour aller me coucher, en remettant à demain la fin de ce labeur.


Jeudi 2 mai.

            Parution de mon texte sur la guerre, dont je suis assez content. Je poursuis l’écriture de la synthèse de mes recherches, qui n’a plus rien de synthétique, mais que je termine enfin.

            Toujours pas de commande d’articles à écrire. Il faudra que j’en profite pour me remettre au dessin et surtout, trouver un sujet pour ma prochaine chronique de Jupiter… Tiens ! Les Chroniques de Jupiter auraient été un meilleur titre que La Bibliothèque. Tant pis.

            Il est temps de sortir de la guerre et de redescendre de mon arbre généalogique : je me remets à lire Flaubert. Bouvard et Pécuchet : allons-y carrément dans la grosse poilade !


Vendredi 3 mai.
           
Ce n’est pas mon journal, que je publie sur mon blog aujourd’hui, mais plutôt la biographie de mon arrière-grand-père ! Incroyable ce qu’il a pris comme place, l’artilleur !
           
Belle journée ensoleillée. Alors que je prends un café au Parvis, je reçois un SMS d’Anthony qui propose d’aller prendre un verre aux Artistes en fin d’après-midi, et je vois arriver Sébastien qui commande un thé, et avec qui nous causons de tout et de rien. Puisqu’il lit mon journal, les nouvelles que je pourrais lui donner me concernant, il les connaît déjà.
           
Je ne m’éternise pas avec Sébastien, puisqu’une autre terrasse m’attend, celle des Artistes. Anthony, Gabriel et une certaine Danielle sont déjà là, et le cercle s’agrandira au fil du temps avec Candice, Antoine et Mélina, Charles, Guillaume et Florie, Maxime et Aurélie, ainsi que Yoan qui revient du Mexique avec une bouteille de mescal qu’il offre à Maxime et un tee-shirt de la coupe du monde de football de 86 qu’il arbore sans gêne aucune. Le soleil est au centre des débats, Mélina avait prévu un apéritif à la Halte Fluviale, où il y aurait eu plus de soleil. Ici, aux Artistes, nous avons déplacé les tables pour quitter l’ombre, mais le soleil, après nous avoir réchauffés un moment, s’est retiré d’une manière assez lâche derrière les façades de la rue Échelle-Marteau, et nous nous sommes mis à frissonner en chœur. Anthony, après m’avoir interrogé sur mon arrière-grand-père, a voulu me faire parler des jeux vidéo, et j’ai eu un peu le sentiment d’être l’expert geek de la soirée. Heureusement, Charles était là : je me sentais moins seul… J’ai aussi appris la naissance du fils de Mickaël et Marie. Ça leur pendait au nez…


Samedi 4 mai.

            Sans doute à cause du 1er mai, je n’ai pas eu une seule commande d’articles cette semaine. D’ailleurs, le soleil ne me donne pas vraiment envie de travailler. Il faut pourtant que je réfléchisse à mon prochain texte pour La Bibliothèque de Jupiter. J’ai beau avoir déjà établi une liste d’une bonne cinquantaine de thèmes possibles, je n’en trouve pas un qui me motive assez pour m’y mettre dès maintenant. « La procrastination » fait partie de cette liste, mais ce serait un peu trop facile – et un peu trop juldéen…

            À la terrasse du Cap Horn, alors que mes yeux cherchent des cuisses avec fièvre, Gérald me hèle. Il prend un verre avec Émilie, me parle de mon journal en ligne, me propose même de commander pour moi sur eBay l’album de Kas Product qui me manque. De toute façon, il faudrait d’abord que je me rachète une platine vinyle, parce que celle que j’ai est trentenaire et commence à montrer des signes de faiblesse. Je suppose que l’âge des outils technologiques doit être calculé comme celui des chiens, en multipliant par 7…


Dimanche 5 mai.

            Je n’ai toujours pas d’idée pour mon texte de jeudi. Il faudrait pourtant que je prenne l’habitude de l’écrire le dimanche, afin de consacrer la semaine aux articles de commande… Il faut aussi que je fasse les dessins pour Zapoï et que j’écrive un texte. J’hésite décidément à choisir mon arrière-grand-père pour sujet, puisque j’ai déjà suffisamment parlé de lui dans ce journal. Mais alors, il va encore falloir que je trouve un thème…

            Anthony a inauguré la nouvelle série que nous comptons lancer dans Zapoï, celle du « dictionnaire haineux ». Pour le numéro de juin, il s’agira du « Dictionnaire haineux de la justice ». Sur ce sujet, par contre, je suis plutôt « inspiré », et je lui renvoie rapidement cinq entrées pour compléter les cinq qu’il avait déjà trouvées.


Lundi 6 mai.

            Aujourd’hui, ma mère voit son frère et ses sœurs, et elle leur apporte le compte-rendu de mes recherches sur le grand-père. Ça va encore provoquer des émotions, ça…

            Je me suis décidé sur un thème pour La Bibliothèque de Jupiter : les émissions littéraires. Mais je ne me suis toujours pas lancé dans la rédaction…
           

Mardi 7 mai.

            J’ai reçu une commande : trois petites biographies à rédiger pour la semaine prochaine. Parfait, je vais pouvoir m’y mettre dès que mon texte pour La Bibliothèque de Jupiter sera terminé. C’est-à-dire, pas avant jeudi, puisque je n’ai encore rien fait aujourd’hui et que la rédaction de ce texte occupera donc une bonne partie de ma journée demain…

            La deadline pour Zapoï approche aussi dangereusement, et je ne me suis mis ni aux dessins, ni à mon texte. Les prochains jours s’annoncent intensifs !


Mercredi 8 mai.

            Après-midi travailleuse : j’écris sans trop de mal mon texte sur les émissions littéraires. L’ennui c’est qu’une fois de plus, je vais devoir trouver un sujet pour la semaine prochaine !


Jeudi 9 mai.

            L’avantage, avec les blogs, c’est qu’on peut programmer à l’avance la parution d’un billet, ce qui me permet de publier mon texte pour La Bibliothèque de Jupiter à 9 heures tout en me levant trois heures après. Je ne sais plus me coucher de bonne heure : le matin n’existe plus pour moi. Pourtant, c’est agréable, un matin de printemps…

            Mon après-midi, du coup, est occupée à l’une des trois petites biographies que je dois rédiger, biographies de starlettes inconnues de moi, que j’apprends à connaître… Avec ce genre d’exercices, je vais bientôt être capable d’écrire sur tout et n’importe quoi…


Vendredi 10 mai.
           
            Moi qui pensais naïvement que le retour à l’écriture allait me permettre de vaincre ma tendance à la paresse et à la solitude, je me suis comporté toute cette semaine en vrai hikikomori. Levers tardifs, indolence, Internet jusqu’à des quatre heures du matin… À côté de ça, j’écris quand même mes biographies de starlettes, mais je ne fais guère que ça. Je n’ai pas encore commencé mes dessins pour Zapoï, encore moins mon texte, et je ne sais toujours pas quel sera le sujet de ma prochaine chronique jupitérienne. Surtout, nous sommes déjà le 10 du mois, et maintenant que j’ai décidé de publier à nouveau mon journal sur le Net, je pense à mes nombreux lecteurs (potentiels), et je me dis que la livraison de mai va leur paraître bien maigre…
           

Samedi 11 mai.

            J’avais complètement oublié que j’étais invité chez Stan et Line pour un barbecue ce midi. Le plus ennuyeux, c’est que je comptais bien en finir avec mes biographies aujourd’hui (il ne me restait plus qu’Ana Girardot à traiter), histoire de m’atteler à mes dessins pour Zapoï demain. C’est bien fait pour moi : si je n’avais pas passé ma semaine à me la couler douce, on n’en serait pas là…

            Bref, j’arrive chez « Staline » en milieu d’après-midi, n’ayant écouté mes messages que tardivement. Un premier d’Anthony, un autre, très long, de Mickaël, qui voulait me faire partager l’ambiance du repas : « J’ai un forfait illimité, Juldé ! Tu m’entends ? ILLIMITÉ ! » L’essentiel, c’est qu’il restait des saucisses et encore un peu d’ambiance. Il y avait donc Anthony, Mickaël, Anne-Claude et Matthieu, ainsi que Joséphine, pas près d’aller se coucher. Pour excuser mon retard, j’ai fait le mec overbooké, on a causé des biographies que je dois rédiger, ce qui a permis à Mickaël d’apprendre qu’Hippolyte Girardot, le père d’Ana Girardot, n’a aucun lien de parenté avec Annie Girardot. Ce scoop nous a bien occupés dix minutes. On a aussi causé de Stephen King, Anthony ayant lu 22/11/63, son dernier roman, de Robert Penn Warren, de Paul Thomas Anderson, du Stade lavallois qui est reléguable (je ne suis pas sûr de savoir exactement ce que ça veut dire, mais ça n’a pas l’air bon), de Cahuzac (enfin, c’est surtout Mickaël qui en a parlé), de la langue allemande qui, d’après Mickaël, ne vaut pas le coup d’être enseignée « puisque les Allemands parlent tous anglais », de la vitesse de croisière des escargots, parce que Joséphine s’inspire essentiellement des gastéropodes dans ses dessins, des arbres du square de Boston et de beaucoup d’autres sujets tout aussi importants. L’après-midi, Anthony a voulu m’initier à l’art du football, ce qui lui a permis de vérifier à quel point mes pieds sont indépendants de mes yeux. Je vise au centre, je tire à droite. Ou à gauche, parce que je ne fais pas de politique. Tirer dans les glaïeuls, c’est un bon moyen de désarçonner l’adversaire qui s’attendait à voir un ballon arriver droit sur lui, à un moment ou à un autre… Bientôt, Stan, Mickaël, Matthieu et Anne-Claude nous rejoignent, on s’amuse à viser un seau avec notre jolie balle orange, et je constate avec un certain soulagement que Mickaël n’est pas tellement plus doué que moi. Un peu quand même, mais pas trop.

            L’après-midi s’achève et la soirée commence autour du jeu du dictionnaire. La règle est simple : l’un des joueurs choisit un mot du dictionnaire dont personne ne connaît la définition, il note celle-ci sur un bout de papier tandis que les autres joueurs inventent eux-mêmes une définition, et il ne reste plus qu’à repérer la véritable définition au milieu des autres. Nous voilà donc à nous creuser la tête sur « déjeter », « herchage », « peltaste », « déjucher », « mourre » et « vogoul ». Mickaël fait preuve d’une admirable mauvaise volonté, ne voyant pas l’intérêt d’inventer des définitions à des mots que personne ne connaît (et que, donc, personne n’utilise), mais il ne s’en sort pas trop mal (mieux qu’Anthony et moins bien que moi), même si c’est évidemment « Staline » qui remporte la victoire haut la main.

            Après quoi, une nouvelle tournée de barbecue est lancée, les conversations reprennent, et ce n’est que vers une heure du matin qu’on se sépare.


Dimanche 12 mai.

            Évidemment, aujourd’hui, je ne suis pas d’une forme olympique. Pourtant moi, j’ai cet avantage sur mes adversaires que je ne bois pas. Je m’acquitte tout de même de mon texte sur Ana Girardot, mais ce sera bien le seul effort que je ferai aujourd’hui.


Lundi 13 mai.

            Nouvelle commande pour cinq autres biographies, et toujours pas d’idée pour ma chronique de jeudi. J’essaie au moins de me remettre au dessin, pour avoir la sensation de faire quelque chose…
           
            Pour une fois qu’une série française est de qualité, il faut le noter. Cette série, Les Revenants, basée sur un scénario de Fabrice Gobert et d’Emmanuel Carrère, et que je découvre ce soir, est même vraiment très bonne. Difficile, pourtant, de renouveler un thème aussi rebattu que les histoires de morts-vivants… Cette histoire m’a fait penser à une autre série, américaine celle-là, Les 4400 – mais que j’avais trouvé plutôt ennuyeuse. Dans Les Revenants, il y a une montée en puissance qui se fait lentement, très lentement, et surtout une volonté d’éviter le spectaculaire, la surenchère d’effets spéciaux… D’abord, c’est une adolescente qui « revient », trois ans après avoir été tuée dans l’accident d’un car scolaire. Et ce retour, incompréhensible, impensable, est vu d’abord comme un miracle : quoi de plus beau, pour des parents en deuil, que de voir réapparaître leur enfant perdu ? Ce n’est que peu à peu qu’un climat inquiétant naît. Cette fille de quinze ans qui est revenue a une sœur jumelle qui a maintenant trois ans de plus qu’elle. Comment accepter son retour, le faire accepter à la communauté, et aux autres familles qui ont perdu leurs enfants dans l’accident, mais qui ne les reverront pas ? D’autres morts reviennent, l’ambiance devient de plus en plus trouble, et un meurtrier qui ne faisait plus parler de lui depuis des années reprend du service. Et cette petite ville de montagne – le tournage a eu lieu dans la région d’Annecy – devient un personnage au même titre que les autres, avec son barrage gigantesque. Il y a dans cette série un climat qui rappelle Twin Peaks, surtout à cause de ce village isolé dans la montagne, entouré par la forêt et bordé d’un lac mystérieux…


Mardi 14 mai.

            C’est en lisant Bouvard et Pécuchet au Parvis, tout en survolant une fois de plus la liste de mes « sujets possibles » pour La Bibliothèque de Jupiter, que je me décide enfin à parler du café. Parce que parler de la littérature, c’est très souvent parler du café. Et ne parler même que de ça.


Mercredi 15 mai.

            Je me lance une fois de plus au dernier moment dans la rédaction de ma chronique jupitérienne, ce qui retarde encore mon travail sur les biographies, mes dessins et mes écrits pour Zapoï… Ah ! On ne pourra pas dire que j’aurai beaucoup habité ma vie…


Jeudi 16 mai.
           
            Ce soir, je retrouve la route du lycée pour la soirée des internes. J’entre dans le bureau  de la vie scolaire et salue anciens collègues et anciens supérieurs. Je bavarde un peu avec tout ce monde là et suis Paul jusqu’au gymnase nord où se déroule la soirée, comme tous les ans. Il y a une longue file d’élèves agglutinés devant la porte et jusqu’au bas des marches qui mènent au plateau du gymnase. On se fraie un chemin à coup de « pardon, pardon » – avec Paul, je ne crains rien : il s’impose de lui-même. Étrangement, je me sens un peu intimidé de me retrouver là, comme si je n’y avais plus ma place, comme si j’étais une curiosité… Je me sens un peu comme l’un des revenants de la série de Fabrice Gobert, en fait. Je poursuis les salutations avec les CPE et les collègues qui se trouvent déjà là : Clément, Renaud, Angélique, Laurent, Lucie, Dorothée, Anne-Sophie… Jérémie arrive à son tour, ce qui me fait bien plaisir : je ne suis plus le seul revenant de la soirée ! Je suis officiellement ici pour prendre des photos et je ne me fais pas prier, bien que mon appareil commence à me jouer des tours. Aurélie, qui était partie en congé maternité avant mon départ, est revenue au lycée la semaine dernière, et je suis ravi de la revoir aussi. C’est bête comme on s’attache, au fond… Ce qui me rassure un peu, c’est que je constate que Jérémie a autant de mal que moi à « quitter » mentalement le lycée, cette ambiance, les élèves, les collègues… La famille, quoi !

            Après les inévitables réglages et le speech du CPE, la soirée commence. C’est appréciable de voir les progrès des chanteuses et des chanteurs, quand on compare aux fêtes de l’internat des années précédentes. Ce sont toujours les mêmes qu’on retrouve derrière les micros, mais avec chaque fois plus d’assurance : Mylène, Camille, Nolan, Léa, Christophe, Adélaïde, Soraya… Après les chansons a cappella ou accompagnées d’une guitare, on passe aux groupes : l’atelier batucada d’abord, composé d’instruments conçus avec des ustensiles de cuisine ou de ménage, puis le groupe de l’ère électrique, guitares, basse, saxophone et batterie, où je retrouve mes anciens internes du A51, Loïc, Robin et Romain. Ce dernier, toujours gentil, bavard et prêt à filer un coup de main, est vivement encouragé par Jérémie à se proposer l’année prochaine au poste de maître au pair.

            On passe à la zumba, l’atelier danse en tête, très vite rejoint par tous les courageux volontaires qui veulent enflammer le dancefloor. Moi, je reste en dehors de ça, je me contente de prendre des photos, je ne sais pas danser ce genre de truc.

            La soirée se poursuit ensuite avec le groupe Mafeya’z, qui joue du rock un peu trop influencé par Noir Désir à mon goût. Le gymnase s’est vidé, l’internat ayant été rouvert à dix heures moins le quart, mais les élèves qui restent se déchaînent devant la scène, bousculades et headbanging. J’essaie bien de les accompagner, mais le chanteur a la mauvaise habitude de dicter au public la manière de danser : en partant sur la droite, puis sur la gauche, en s’accroupissant… Oh ! là, là ! C’est trop compliqué pour moi, tout ça – le rock, c’est instinctif, merde ! Je préfère me réfugier dans le bureau du gymnase où il y a du gâteau. Poire ou framboise : peu importe, je ne fais pas de politique. Finalement, ce sera framboise. Les retardataires auront la poire.
           
À onze heures la musique s’arrête, les derniers élèves remontent dans les dortoirs, à l’exception d’une poignée qui aide à démonter la scène. Jérémie et moi nous apprêtons à prendre congé de nos anciens collègues, mais la CPE nous demande de passer dans son bureau. « Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’on a fait ?!? », je m’insurge. J’imite encore assez bien le jeune. En fait, les CPE et les collègues se sont associés pour nous offrir un cadeau à chacun : un bon d’achat à la librairie ! Le meilleur cadeau qu’on puisse me faire, surtout en ces temps de disette… Je me fends d’un dernier dessin pour remercier tout le monde, les CPE nous disent encore à quel point notre humour et mes dessins leur manquent, Jérémie et moi traînons un peu… Au fond, on n’a pas du tout envie de s’en aller ! Mais il faut bien qu’on y aille, malgré tout… Jérémie me dépose devant chez moi, coupez, générique.


Vendredi 17 mai.

            Réveil en fin de matinée avec une douleur dans la nuque : la jeunesse n’est décidément plus de mon âge. Nouvelle commande de courts articles à rendre mercredi dernier délai, qui s’ajoute à mes biographies. Aujourd’hui, je m’occupe du cas de George Clooney et fais un dessin pour Zapoï.


Samedi 18 mai.

            Le barbecue en l’honneur de l’anniversaire de Thibault est annulé, épidémie de gastro oblige.

            Je suis toujours dans mes biographies, dessine un peu, très peu, et culpabilise de ne pas m’être encore mis au texte pour Zapoï. Sans compter qu’il va aussi falloir que je trouve un sujet pour la prochaine Bibliothèque de Jupiter

            Je consacre le bon d’achat offert par les collègues à l’acquisition du roman de Stephen King (que je n’aurais sans doute pas acheté sans ce bon) et d’un cahier pour mon journal.

            J’achève la lecture du Bocage à la nage d’Olivier Maulin. Ce qu’il y a d’étonnant, avec cet écrivain, c’est qu’il a toujours l’air de raconter la même histoire – en gros, un type fatigué de son boulot fait la rencontre d’une bande de poivrots plus ou moins philosophes qui lui font découvrir un monde complètement différent – mais qu’avec son humour, tout ça passe naturellement, et qu’on ne s’ennuie pas une seconde. Du reste, ce roman n’est pas le meilleur qu’il ait écrit, mais bon : il l’a écrit en Mayenne, et toute l’action est située dans les environs du Bourgneuf-la-Forêt, de Port-Brillet et du Bois de Misedon. Rien que pour ça, moi, je lui donnerais le Goncourt !

            Le soir, je revois Bienvenue à Zombieland, qui est avec Shaun of the Dead la meilleure parodie de films de zombie que je connaisse. Jesse Eisenberg est à mourir de rire.



Dimanche 19 mai.

            Je n’aurais pas dû me permettre cette grasse matinée, et j’aurais dû réussir à faire beaucoup plus que les deux dernières biographies qui me restaient – biographies de célébrités parfaitement inconnues pour moi, d’ailleurs. Mais les journées n’ont que vingt-quatre heures, et comme j’en grignote allègrement une bonne vingtaine à ne pas faire grand-chose…


Lundi 20 mai.

            Je m’occupe des cinq petites chroniques qu’il me restait à rédiger pour honorer mes dernières commandes, mais je suis toujours en panne sèche pour Zapoï, et ne parlons même pas de La Bibliothèque de Jupiter. Et en toute logique, je devrais recevoir une nouvelle commande d’articles dès demain. Il va vraiment falloir que je commence à m’organiser, là…

            En attendant, je regarde le très bon film de Fabrice Gobert, Simon Werner a disparu, dont Anthony et moi avions parlé dernièrement. Très bon film, monté comme un puzzle, une même histoire étant racontée selon les points de vue de personnages différents, à la façon d’Elephant, de Gus Van Sant. Ana Girardot y est splendide, et la B.O. a tout pour me plaire : Killing Joke, Sonic Youth, Tom Waits, les Cramps… Un réalisateur à suivre, ce Fabrice Gobert… Entre ce film et Les Revenants, jusqu’à présent, il fait plutôt du bon boulot !

            Pour en finir avec ce week-end pentecôtiste, je me lance dans la lecture du dernier Stephen King. En voilà un que je n’avais pas relu, je crois, depuis mes seize ou dix-sept ans ! Mais j’ai des envies de littérature populaire pas trop « prise de tête », en ce moment… Et comme c’est encore un sujet que nous avions abordé avec Anthony…


Mardi 21 mai.

            L’idée de base du roman de Stephen King, le voyage temporel, s’il est un classique de la littérature et du cinéma, m’intéresse particulièrement en ce moment. Et notamment parce que c’est un thème que je retrouve dans deux de mes mangas favoris : Zipang ! de Kaiji Kawaguchi (dans les années 2000, un croiseur de la marine japonaise d’auto-défense se dirige vers l’Amérique du Sud. Une étrange tempête se lève et l’équipage se retrouve projeté en 1942, en pleine bataille de Midway…), et Jin, de Motoka Murakami (un neurochirurgien du XXIe siècle se retrouve brusquement dans le Japon de la fin de l’ère Edo, en 1863…).
           
            Ce qui est assez fort, dans ce roman de Stephen King, c’est toute cette lenteur calculée… L’histoire est simple : en 2011, le narrateur, Jake Epping, découvre l’existence, dans une roulotte de fast-food, d’un passage temporel qui l’emmène en septembre 1958. Et quelque soit le temps qu’il passe dans cette période du passé, lorsqu’il revient à l’intérieur de la roulotte, il ne s’est écoulé que deux minutes. Il va donc échafauder un plan pour empêcher l’assassinat de Kennedy. Je pense très sérieusement que le roman serait d’une bêtise à hurler si l’auteur ne s’amusait pas à retarder sans cesse l’action. Je ne me souviens pas de l’avoir vu agir de cette façon dans les quelques romans que j’ai lus adolescent. Il me semble plutôt qu’on était très rapidement au cœur d’un suspense insoutenable qui nous empêchait de reposer le livre avant de l’avoir fini. Étrangement, avec 22/11/63, on a autant de mal à le reposer, et le suspense est tout aussi prenant, mais c’est aussi que ce salaud de King nous fait tourner dingues avec ce « terrier » qui débouche toujours sur la même journée de septembre 58 alors que l’événement censé nous intéresser se passe cinq ans plus tard ! C’est qu’entre-temps, évidemment, il va nous forcer à nous intéresser à beaucoup d’autres événements… et y parvenir !

            M’étant débarrassé de mes articles de commande (je viens d’en recevoir une autre, mais elle pourra attendre deux ou trois jours), je me lance enfin dans mon texte pour Zapoï et, n’ayant rien trouvé de mieux, je me contente finalement d’écrire un texte de plus sur le grand-père Chabrun. En revanche, je n’ai toujours pas d’idée pour la Bibliothèque de Jupiter, et ça commence à devenir inquiétant…


Mercredi 22 mai.

            Finalement, l’idée m’est venue dans la nuit : cette semaine, je parlerai du « plan ». Faut-il faire un plan avant de commencer un roman ? J’écris une grande partie de mon texte en début d’après-midi, m’octroie une pause en ville où je croise Gérald, avec qui on cause de tout, de rien, du suicide de Dominique Venner à Notre-Dame et des attentats de Boston. Puis je rentre chez moi, et reviens à mon texte en fin de soirée – ou plutôt en milieu de nuit. À vrai dire, je ne suis pas très content de moi. Je me rassure en me disant que l’avantage de poster un nouvel article toutes les semaines, c’est que les textes plus faibles sont vite oubliés au profit des suivants…


Jeudi 23 mai.

            Ce soir, je revois Taxi Driver, à la recherche d’un passage pouvant convenir à la thématique du châtiment, pour le prochain vidéodrome chez Pierre – parce que j’ai bien l’intention de retourner à Paris le mois prochain. Rien de vraiment pertinent à mon avis dans Taxi Driver. La scène de tuerie dans la maison close, évidemment, mais elle n’est pas très intéressante. Ou alors, le monologue de Travis Bickle : « Écoutez bien, bande de dépravés… »


Vendredi 24 mai.

            Entre la lecture et la glande, je me remets à dessiner (pour Zapoï), et à aimer ça. Et, du coup, à faire des choses pas trop mal. En revanche, je pense que je ne me lancerai pas dans mes textes de commande avant ce week-end. J’ai neuf « bio » à rédiger, mais j’ai jusqu’au 6 juin pour le faire.
           

Samedi 25 mai.
           
Le festival des Trois Éléphants bat son plein à Laval, ainsi que la fête du jeu – mais j’évite soigneusement l’un et l’autre. Je n’ai pas envie de bains de foule, en ce moment. Pourtant, le ciel offre quelques éclaircies, et ce serait sans doute une occasion de mater un peu de chair féminine… mais il faut croire que ça va, je peux m’en passer.

            Je croise ma tante Anne-Françoise et Patrick, qui me parlent des recherches que j’ai faites sur le grand-père Chabrun. Elle me dit qu’elle a revu des photos chez la tante Thérèse, et qu’elle a été surprise de voir que je lui ressemblais un peu… Oui, bon, c’était un grand maigre, quoi…
           
Ce soir, je revois Match Point, de Woody Allen. Tuer Scarlett Johansson, ce n’est déjà pas très beau, mais en plus, ne pas payer pour ce crime…


Dimanche 26 mai.

            Pas été au cinéma depuis des mois, j’ai raté The Master, j’ai raté le dernier film de Bruno Dumont, mais j’y retourne ce matin pour voir Iron Man 3. J’hésite à aller voir Gatsby le Magnifique. En tout cas, pour aujourd’hui, un pur film d’action bourré d’explosions et de cascades me convient parfaitement.

            Ce ciel magnifique était un appel vibrant à se promener, peut-être du côté du festival, mais j’ai su faire la sourde oreille et j’ai passé l’après-midi sur le dernier dessin que j’avais prévu pour Zapoï.


Lundi 27 mai.
           
            Cet après-midi je retourne à Réaumur pour apporter mes photos de la soirée du 16 mai. En montant vers le BVS, je croise Laure et Dorothée, avec qui je me mets immédiatement à bavarder, les empêchant de travailler, grain de sable dans les rouages de la machine que je suis ! Laure m’apprend qu’elle sera bientôt en vacances : elle devrait avoir atteint son quota d’heures jeudi. Elle échappera donc à l’inévitable réunion des emplois du temps qui a lieu, comme toujours, le dernier mercredi du mois de mai – autant dire après-demain. Au bureau, je profite des moments où il n’y a pas d’élèves à venir réclamer quelque chose pour causer avec Anne-Sophie et Virginie. Je venais glaner quelques potins, quelques médisances joviales, mais apparemment, il n’y a pas grand-chose de nouveau. Mon Dieu, mais il ne se passe plus rien, depuis que je suis parti, ou quoi ? Je passe à Buron saluer la CPE et Stéphanie, et je leur parle des articles que j’écris pour le web – les biographies de stars, surtout, les amuse. Côté Réaumur, les CPE qui étaient en réunion sont de retour, mais visiblement ça s’est assez mal passé, et comme ils sont tous plutôt occupés, je me contente de les saluer avant de m’en aller. C’était très certainement la dernière fois que je venais ici, puisque l’année scolaire s’achève…

            Alors que je prenais tranquillement des notes au Parvis en attendant l’heure adéquate pour me rendre au lycée (15 h 30, ce moment où, après la pause de l’après-midi, le bureau de la vie scolaire est plus calme), j’ai vu passer Émilie et Gérald, ce dernier amusé de me voir le carnet en main, fameux stéréotype de l’écrivain au café qui m’a inspiré une de mes récentes chroniques. Oui, je suis ma propre caricature.

            Je revois ce soir There will be blood, de Paul Thomas Anderson. Dieu, le Mal et le Pétrole.



Mardi 28 mai.

            Là où se révèle la faiblesse de Stephen King – me dis-je en terminant la lecture de 22/11/63 – c’est dans la psychologie des personnages. Surtout celle du personnage principal, qui pour respecter une promesse faite à un ami mourant, a décidé de retourner vivre pendant cinq ans dans le passé pour empêcher l’assassinat de Kennedy. Au fil du roman, le lecteur comprend – et le héros devrait le comprendre aussi – que tous les changements qu’il opérera dans le passé produiront des réactions en chaîne catastrophiques. Le héros le sait, il n’est question tout au long du livre que de la théorie du battement d’aile du papillon, et du passé qui s’« harmonise » quoi qu’on fasse : si l’on a empêché un drame de se produire dans telle ville du Maine, un drame similaire se produira dans telle autre du Texas, etc. Le héros le sait, le comprend vite, n’en tire jamais la conclusion qui s’impose : le passé ne doit pas être changé. Et rien n’explique cet entêtement forcené pour empêcher un événement vieux déjà d’une cinquantaine d’années. Si après la mort de Kennedy, le monde avait été plongé dans un chaos dont on ne serait toujours pas sorti en 2011 – année où se situe le récit (qui se déroule également entre 58 et 63, donc) – on pourrait comprendre cette volonté de réparer les choses. Ou s’il s’agissait d’empêcher un événement plus récent, comme les attentats du 11-Septembre… Mais vouloir s’acharner à sauver Kennedy en 2011 ? L’argument de la promesse faite au mourant est si léger qu’il s’effondre bien vite, et qu’on finit par suivre le héros, qui ira jusqu’au bout, en se demandant bien ce qui le pousse à aller jusqu’au bout. La folie ? L’obsession ? Mais King n’en fait pas un personnage irrationnel, bien au contraire : il est déterminé et sait ce qu’il a à faire. En ce qui me concerne, j’ai été passionné par ce roman d’un bout à l’autre, parce que je n’en attendais pas beaucoup plus que le plaisir d’être embarqué dans une aventure incroyable et pleine de surprises (et pour ça, l’auteur sait y faire) ; mais il arrive un moment où on ne comprend plus le but que poursuit le héros.

            Nouvelle commande de six articles brefs pour Leclerc, que j’honore le soir même, tout en me lançant dans les biographies que je dois rendre le 6 au plus tard. Ce qui me permet de découvrir l’existence de Dakota Fanning, une déjà vieille actrice de dix-neuf ans.


Mercredi 29 mai.

            Voici venu le temps des monstres – c’est en tout cas le sujet que j’ai choisi de traiter cette semaine pour La Bibliothèque de Jupiter.

            Je me suis mis à relire Gatsby, puisque c’est d’actualité. Et puisque Stephen King m’a replongé dans l’assassinat de Kennedy et que ça fait un bon moment que ce livre me fait de l’œil, j’ai décidé d’aller emprunter l’Oswald de Norman Mailer à la bibliothèque. Là, je tombe sur Sébastien et nous nous lançons dans une longue conversation qui nous poursuit jusqu’au Café du Parvis. On parle du chômage, de mes écrits, de Stephen King, de nos vieilles connaissances de la fac qu’on ne voit plus, de l’art d’esquiver dans les rues les individus susceptibles de nous reconnaître et de nous saluer, du prix des places de cinéma, d’Iron Man 3 et de cette nouvelle génération de super-héros en proie au doute, du livre électronique et de la crise des librairies…


Vendredi 31 mai.

            Le soleil est enfin arrivé, tout confus avec son billet de retard. Ça va faire bien, sur le dossier scolaire, toutes ces demi-journées d’absence… Du coup, moi, mal préparé, je trimballe toute l’après-midi mon manteau sous mon bras et ruisselle de façon disproportionnée, vu qu’on est encore loin des grosses chaleurs !
           
            L’inconvénient de ma chronique hebdomadaire, c’est qu’elle justifie à mes yeux, d’une certaine façon, le fait de ne rien écrire d’autre. Bien sûr, il y a aussi tous mes articles de commande (il m’en reste six à écrire, et j’aimerais bien en être quitte lundi… pour en recevoir une nouvelle). Mais je pense que si je n’avais à traiter que ces commandes, je continuerais à me culpabiliser en voyant que mon blog est muet depuis des mois. Et j’essaierais donc d’y remédier (peut-être). La Bibliothèque de Jupiter tous les jeudis, et la publication de ce journal une fois par mois, m’ont permis de résoudre ce problème. Au moins, malgré le temps que je peux passer à mes biographies de célébrités, je sais que ce blog sera nourri régulièrement. Mais cette certitude me donne aussi une bonne excuse pour ne pas écrire autre chose. J’aimerais par exemple me remettre à mes Promenades en Mayenne, mais je ne le fais pas. Et ne parlons même pas de se mettre sérieusement au roman – travail auquel je ne m’appliquerai sans doute qu’après ma mort…