Zukry a été très clair. Il devient d’ailleurs très
chef de milice pour république Banania, je trouve (c’est toujours pendant le
petit déjeuner qu’il donne ses ordres). Il a troqué sa chemise à carreaux pour
une chemisette kaki, c’est louche… Je lui dirais bien d’aller se faire voir
chez les Portugais dans un grand rire sardonique — gnark ! gnark !
gnark ! — en m’engouffrant (attention la tête !) dans le premier taxi
pour l’aéroport Eleftherios Veniselos, mais je n’ai pas de carte bancaire,
c’est lui qui retire de l’argent pour moi et donc je n’aurais pas assez de
liquide pour prendre mon envol, ô monde matérialiste !
Zukry a été très clair, disais-je : il m’a
bien fait comprendre que si jusqu’à présent j’avais un peu fait ce que je
voulais (tu parles !), maintenant c’était terminé, fini N.I. ni, et
qu’aujourd’hui je serais de corvée de handball. Hop, hop, hop ! Pas de
discussion ! J’ai eu beau lui répéter que j’avais déjà un titre pour la
rencontre Mary Pierce-Venus Williams (Athènes est si Williams…), il n’a
rien voulu savoir (mais il a quand même noté mon jeu de mot au dos de la note
de frais du minibar, en se disant sans doute qu’il le comprendrait plus tard —
gnark ! gnark ! gnark ! prends ça !). D’ailleurs, Milàn m’a
chuchoté à l’oreille que la rencontre Pierce-Williams, c’était du
tennisweuuuaaarggghhl (ça c’est parce que je lui ai décoché une bourrade
amicale dans le foie, j’ai horreur qu’un individu du même sexe que moi me
chuchote quoi que ce soit à l’oreille) !... Et comme rien ne m’ennuie
autant que le handball, si ce n’est le tennis, alors… N’empêche que depuis
qu’il a assisté aux compétitions de tir, il nous la joue à-vos-rangs-fixe,
l’adjudant Zukrette ! J’en rirais presque si je ne le subissais pas au quotidien…
J’ai bien essayé de rester à l’intérieur du bungalow en m’accrochant aux jambes
d’ACcRoc, mais elle ne s’est pas gênée (la salope) pour me faire lâcher prise
avec le hachoir électrique. Alors, comme l’ambiance l’était déjà suffisamment,
électrique, j’ai récupéré mes doigts, les ai fourrés en vrac dans ma poche en
conservant mon majeur pour saluer mes prétendus amis, et je suis parti.
Ah, les fumiers !... Alors ils sont là, à
prendre des poses d’artistes, à se titiller l’ego avec des mines de baronnes
assises sur des vits turgescents de jardiniers impromptus, alors que nous
savons tous qu’il n’y a qu’un seul véritable écrivain ici, et que c’est
moi !... Et ça se plaint, et ça geint, et alors moi, je n’ai pas le droit
d’avoir mes bêtes noires ?... Je n’ai pas le droit de considérer le
handball comme une abomination (une abomination teutonne, qui plus
est) ? Mais le handball (mesdames, messieurs), c’est une souffrance que je
porte en moi, dans ma chair, gravée au fer rouge !... Chacun ses
traumatismes, merde ! Depuis que ce sport existe, c’est-à-dire depuis la
sixième et jusqu’à la terminale, j’ai vécu le même enfer, dans les gymnases des
établissements scolaires que j’ai pratiqués pour mon malheur et mon
épanouissement personnels. Pendant que les « capitaines » d’équipes,
désignés par la main innocente-mon-cul-ouais de l’autorité en place — j’ai
nommé le prof de sport —, appelaient un à un les camarades qu’ils voulaient
voir évoluer auprès d’eux, je savais bien qu’à la fin il n’en resterait qu’un,
et que le scénario habituel allait se répéter, comme un cauchemar
récurrent : « Bon ? Qui c’est qui prend Juldé ?... Vous
vous démerdez, nous on l’a déjà eu la dernière fois… » Je devais donc à
chaque fois attendre de savoir vers qui me diriger, et j’avançais alors, avec
un petit sourire désolé pour bien montrer aux copains que c’était pas facile
pour eux, je sais bien va, de se coltiner un boulet comme moi, mais que bon,
j’allais me mettre en défense, je ne les gênerais pas, il n’avaient qu’à pas me
faire de passes. Ou alors, miracle : nous étions un de trop dans l’équipe.
Pas de problème : « Juldé, t’es remplaçant ! »
Très vite, j’ai compris que dans un gymnase, mes
seuls amis étaient les bancs.
Tout ça pour dire que Yanis a suivi pour moi le
match. Ce sont les Espagnols qui ont gagné, je crois. Contre les Russes, il me
semble. C'est-à-dire les bleus. Ou les rouges. De toute façon, le terrain étant
peint en orange et bleu, je ne pouvais pas distinguer les joueurs : ça
faisait ton sur ton. Et puis c’est fatigant de les voir courir tous à gauche,
puis tous à droite, puis tous à gauche, puis tous à droite, puis tous à gauche,
en faisant crisser leurs chaussures sur le sol (leurs mamans ne leur ont donc
jamais appris à lever les pieds quand ils marchent ?) : on dirait un
match de tennis dans lequel toute une équipe accompagnerait la balle. Et je
n’en reviens pas du nombre de fois qu’un domestique vient passer la
serpillière. Le handball, c’est vraiment un sport de gonzesses.