mardi 28 décembre 2010

Mireille aux enfers


"Satan, dont je ne voudrais cependant pas tout le temps parler et tenir compte presque plus que de Dieu, est-il donc à ce point en moi, ancré par une habitude et une faiblesse ancienne qui lui permet de familières et perpétuelles entrées ?"
Mireille Havet, Journal, 22 octobre 1927.

A chaque fois que l'éditrice Claire Paulhan publie un nouveau tome du Journal de Mireille Havet, c'est une nouvelle étape terrifiante vers la mort qu'elle propose. Quel choc ce sera, lorsqu'elle décidera de revenir en amont du Journal déjà publié, pour faire découvrir aux lecteurs les jeunes années de la "petite poyétesse" chérie d'Apollinaire, de 1913 à 1918 !

On en est loin, de la jeunesse, dans ce volume qui recouvre les années 1927-1928, au titre terrible: "Héroïne, cocaïne! La nuit s'avance..." Mireille Havet, pourtant, n'a que trente ans... Le volume s'ouvre sur de petites notes griffonnées dans un agenda: elle semble n'avoir plus la force de s'épancher dans les pages de son journal, elle souffre le martyre, couchée dans une chambre de Tréboul, fiévreuse, tourmentée par de nombreux abcès. Quand elle remonte à la surface, elle pense avoir triomphé de la morphine. Elle se trompe.

Le silence guette à la fin de cette année 1927, année de cure interminable, de lutte désespérée contre la drogue. "Ecrire dans la vie n'est pas si drôle, quand, à force de douleur, dans le feu même de la souffrance qui purifie, pulvérise, fond et vaccine, on a perdu le goût de s'analyser soi-même et de cette contemplation intérieure qui est la source même, la beauté et le ridicule du Romantisme, l'école de notre adolescence, souffrante et émerveillée de son développement, que l'on croit alors unique et devant nous mener à l'exceptionnel." (27 décembre 1927)

Les phrases s'allongent démesurément, galopent et trébuchent, Mireille s'est lancée dans une cavalcade folle, mais après quoi court-elle ? Ses trente ans perdus, ses années gâchées, ses amours pulvérisées, ce talent qui aurait pu faire d'elle une grande artiste, étranglé par cette fureur de vivre qui la mènera à la tombe à fond les ballons. Mireille Havet, c'est James Dean.

Née en octobre 1898, Mireille Havet aurait pu rester une vague figure du milieu des artistes parisiens des années 20, auteur oubliée de nouvelles, de poèmes et d'un court roman, Carnaval, dont l'histoire littéraire aurait à peine gardé la trace si Claire Paulhan n'avait pas eu l'idée d'exhumer ce Journal incendiaire, grâce à Dominique Tiry, petite-fille de Ludmila Savitzky, amie et légataire des écrits intimes de Mireille.

Flamboyante Mireille Havet! Un feu-follet, comme son ami Jacques Rigaut... Il faut la voir, sur les photographies qu'elle nous a laissées. En 1911, en robe blanche dans le parc de Ker Aulen, en Loire-Atlantique, elle penche son visage plein de rires vers sa soeur aînée Christiane, assise à côté d'elle. Elle a posé un bras sur l'épaule de sa soeur, l'autre est nonchalamment posé sur sa hanche. Une mèche s'échappe de ses longs cheveux noirs tirés en arrière et coule le long de sa joue. Elle est aux anges, elle va sur ses douze ans. En 1917, elle a dix-huit ans, s'apprête à publier son recueil de nouvelles, La Maison dans l'oeil du chat. Guillaume Apollinaire a déjà publié plusieurs de ses textes, en prose ou en vers, le poète Paul Fort s'est enflammé pour elle. Elle fréquente Mallarmé, Cocteau, Colette, Giraudoux... Foulard autour du cou, bandeau dans les cheveux, elle fixe l'objectif d'un intense regard sombre, un peu perdu, ses cheveux tirés recouvrent ses oreilles. La bouche est un peu triste. En 1923, photographiée à l'occasion de la parution de Carnaval, elle baigne dans un léger flou, les cheveux courts, le regard distant, col de fourrure et chemisier blanc. En 1931, la photo d'identité de son passeport est saisissante: le cheveu court, raie sur le côté, une coupe masculine, le regard noir et la bouche dure - le visage accuse les accidents de la vie, la dope et le manque, les souffrances, le désespoir. Elle porte un costume d'homme, une cravate. Elle n'a plus qu'un an à vivre.

L'enfant terrible du jeune vingtième siècle déjà secoué par la guerre qui lui a pris Apollinaire et de nombreux amis d'enfance, écrivait en septembre 1922 : "Il faut compter que l'incohérence de notre époque vient de ce vide accidentel des talents, des intelligences supprimées par la mort. Notre génération n'est plus une génération, mais ce qui reste, le rebut et le coupon d'une génération qui promettait, hélas, plus qu'aucune autre. Tout au monde est désaxé, tout. [...] Et nous, enfants gâtés nés pour le plaisir du soir, la douceur des lampes, le crépuscule qui fond les contours, nous voici en pleine apocalypse. Nous n'aimons pas fonder, construire, résoudre. Nous aimons tout ce qui finit et tout ce qui meurt. Voilà pourquoi, sans doute, tous nos amis sont morts. Notre faute est d'y survivre."

Orpheline de maîtres et d'amis, puis orpheline de père et de mère, Mireille Havet se retrouve seule comme une gosse perdue, s'accrochant à l'amour avec avidité. L'amour des femmes, toujours: Madeleine de Limur, Marcelle Garros, Suzanne Léger, Reine Bénard, Robbie Robertson, Norma Crandall, Mary Butts... Son unique expérience hétérosexuelle, la perte de sa virginité, sera résumée dans son journal par une formule lapidaire : "Arraché dent."

Mais quelle gloire dans cette damnation! Quelle vie dans cette marche vers la mort! Mireille Havet brûlant d'amour, hurlant de désespoir mais portée par la passion foudroyante, passion des femmes, passion de la vie, passion de toutes les choses terrestres - et l'on connaît l'étymologie du mot "passion"... Oui, quelle lumière dans cette montée au Calvaire! "Aller droit à l'enfer, par le chemin même qui le fait oublier", écrit-elle en septembre 1919. Une vie si intense qu'elle y use toutes ses forces, que seule la bouche du revolver semble pouvoir l'en délivrer. Ce revolver, elle l'achète, elle supplie Dieu de le lui pardonner, elle accuse Robbie, sa maîtresse, de la pousser à l'utiliser. "Tu veux la guerre, Robbie, tu l'auras, par amour. Je veux avoir la certitude, avant de me tuer, des mobiles qui te font agir, et lire dans tes yeux, si durs souvent, que tu ne m'aimes pas." (16 avril 1928)

Voilà la vie de Mireille Havet : un bûcher permanent.

Le Magazine des Livres, novembre-décembre 2010.

mercredi 24 novembre 2010

Propagande 5 - Le Magazine des Livres n° 27


Vous saviez que Michel Houellebecq avait eu le Goncourt ? Bon, ça, je n'en doute pas. Du coup, il est en couverture du dernier Magazine des Livres. Tant pis pour lui. A l'intérieur, on trouve aussi, outre un entretien exclusif avec le lauréat, un dossier sur Philippe Muray, un article de Pierre Cormary sur Thomas Pynchon, un entretien avec Pierre Chalmin sur l'insulte littéraire et beaucoup d'autres bonnes choses. Quant à moi, j'ai choisi de me laisser guider par l'extraordinaire Mireille Havet (1898-1932) jusqu'en enfer... J'espère qu'il y a des escalators pour remonter.

dimanche 31 octobre 2010

Henri Calet, le débineur


"On croyait avoir touché le fond, on se trompait. Les casseroles ont un fond, la vie n'en a pas."
Henri Calet, Le Bouquet.



Ils sont terribles, ces écrivains de la génération 1900!... Ceux qui ont promené leur enfance sur les champs de bataille de la "Der des Ders" pour se faire rattraper adultes par la suivante, et essuyer penauds la dérouillée de 40: les Henri Calet, Raymond Guérin, Paul Gadenne, Jacques Perret, Georges Hyvernaud... La génération défaitiste. D'ailleurs, c'est un des leurs, Pierre Minet, qui a publié La Défaite en 1947, grand petit roman sur la bohème littéraire des années 20 et les poètes du Grand Jeu. Titre symbolique d'une époque: le fiasco était dans l'air du temps.

On l'aura compris: j'aime les ratés, les inadaptés, les déserteurs de tout. Prenez Raymond Théodore Barthelmess, dit Henri Calet, par exemple. Il n'aura pas attendu la "Drôle de guerre", la grande débandade du "...ième Débineurs" et l'expérience de prisonnier de guerre racontées dans Le Bouquet, pour voir la vie couleur encre de Chine. La débine, elle était en lui depuis toujours. Premières lignes du premier roman d'Henri Calet, La Belle Lurette (1935): "Je suis un produit d'avant-guerre. Je suis né dans un ventre corseté, un ventre 1900. Mauvais début." Le ton est donné. Qu'ils s'appellent Henri Vertebranche (La Belle Lurette), Adrien Gaydamour (Le Bouquet) ou Feuilleauvent (Le Tout sur le tout), la plupart des personnages de Calet sont des transpositions de lui-même, ce gamin chétif et triste, "tas petit de chair molle", fils d'anarchiste ayant poussé dans les déménagements et les trafics (de fausse monnaie notamment), déjà en fuite sur les routes de la Belgique occupée pendant la Grande Guerre (répétition générale avant l'exode de juin 40), puis hors-la-loi réfugié en Uruguay avant un retour clandestin à Paris... Il y a du Bardamu chez Henri Calet, vagabond désenchanté, amputé du sourire, portant sa couardise comme un étendard... "Quand je cherche à me démêler au fond, je trouve aussi que j'ai toujours eu un faible pour ceux de mon espèce: les malheureux, les vaincus. Et les Allemands, pendant vingt ans, avaient été les vaincus qu'il fallait plaindre. D'un coup, la situation se renversait: la France vaincue, je retournais à elle. La défaite, me voici!" (Le Bouquet). A force de commémorer l'Appel du 18 Juin, on en oublierait presque qu'on a perdu la guerre.

Mais Henri Calet n'est pas seulement le chantre décourageux et glacial de la débine: il sait mieux que personne faire partager la poésie simple et tendre des petites gens, de son quartier de Paris, le XIVe arrondissement, qu'il arpente de long en large au gré de ses souvenirs dans Le Tout sur le tout, évoquer ses voyages avec la légèreté du pinceau d'un aquarelliste... Pantouflard, Calet? Pas une seconde. Pourtant, l'exode aurait pu le dégoûter à jamais du nomadisme: "J'ai beaucoup traîné par les routes, ces dernières années, contre ma volonté. Il me semble que je n'ai pas cessé de marcher en tout sens durant plus de quatre ans. A présent que j'ai rallié ma maison, je demande à n'en plus bouger. J'ai besoin de me ressuyer." (Poussières de la route).

Chez la plupart des écrivains, les articles publiés dans les journaux constituent la partie la plus négligeable de leur oeuvre. On commence à s'y intéresser après que les romans principaux ont été largement commentés et analysés - ils viennent compléter l'oeuvre bien connue pour satisfaire les assoiffés d'exhaustivité. Avec Calet, ça ne marche pas comme ça.

Lorsqu'il commence sa carrière de journaliste, juste après la guerre, à Combat d'abord, puis dans beaucoup d'autres journaux, Henri Calet, cet "homme quelconque", comme l'appelait Franz Hellens, a trouvé le ton qui lui convenait. Ces brèves chroniques ont le même timbre que ses romans, le même humour désolé, la même grâce. Qu'il évoque le quotidien d'une "gueule cassée" entre deux opérations du visage, recherche les rares survivants qui ont connu les cellules de Fresnes pour leurs actes de résistance, ou qu'il décrive les espoirs et les doutes de la jeunesse des années 50, il ne pose pas à l'intervieweur dégagé et supérieur (le style "c'est moi qui pose les questions!"): il se place à hauteur d'homme. Solitaire comme tout écrivain, il est attiré par la foule autant qu'il la craint. Il veut comprendre ce qui l'agite, alors il place sa caméra au milieu d'elle. Pas de vue surplombante, pas de zoom arrière: il fait partie de cette foule, son sujet d'étude. C'est peut-être ça qu'il appelle "la littérature à bout portant". Envoyé sur les routes pour une enquête sur les vacances, il s'attache autant à décrire ses compagnons de voyage que les paysages traversés. Cet incurable pessimiste aime tellement les hommes, et surtout les femmes, que les vallées et les fleuves s'humanisent à son contact. Il vit une amourette avec la Garonne: "Le soir venu, elle s'était habillée de lamé d'argent. Je me rappelle qu'elle était bien séduisante ainsi. (...) Il m'importait de savoir comment elle s'y prend pour mettre le grappin sur ses affluents, les uns après les autres... Le Lot, puis le Tarn... cette mangeuse d'hommes." (Poussières de la route).

Voilà de quoi est faite la "petite musique", la poésie d'Henri Calet: d'une empathie immédiate, presque brutale, avec le monde qui l'entoure. Les gens timides qui se décident soudain à se rapprocher des autres s'y prennent toujours mal. On trouve aussi cette maladresse chez Calet, toujours un peu candide, un peu à côté, comme encombré de soi-même. Où qu'il aille, c'est toujours lui qu'il retrouve, ce Buster Keaton de la clinique Tarnier. "Oh! ne plus s'avoir dans les pattes, ne plus se voir, ne plus s'avoir sur le dos! Etre un peu seul, vraiment seul, ne fût-ce qu'une seconde." (L'Italie à la paresseuse). Dans Peau d'ours, carnet de réflexions pour un roman qu'il n'aura pas le temps d'achever, il décrit ses livres comme "une sorte d'herbier où je place, j'insère, des personnages entrevus, séchés..." Petites touches de couleur, petits instantanés, des odeurs, des ritournelles, des visages: quelques souvenirs sauvés dans une vie trop courte où le bonheur est rare. Derniers mots du dernier livre de Calet: "Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes." Et le rideau tombe sur cinquante-deux ans d'une petite vie discrète, blottie entre deux guerres, comme un fleuve qui se jette (de désespoir) dans la mer, pour s'y faire oublier.

mercredi 22 septembre 2010

Propagande 4 - Le Magazine des Livres N°26


Le Magazine des Livres de septembre est sorti, avec un dossier sur les polémiques littéraires établi par Frédéric Saenen, une rencontre avec Amélie Nothomb, des entretiens, des articles et un hommage à Henri Calet par votre serviteur...

samedi 18 septembre 2010

L'art de disparaître


Nous nous promenions sur ce que l'on appelle l'allée du bout du monde, un mélancolique sentier près du château de Montaigne, quand on m'a demandé: "D'où vient ta passion pour la disparition?"
Enrique Vila-Matas, Docteur Pasavento.


D'où vient ma passion pour la disparition? Ou plutôt, ma passion pour les écrivains de la disparition, du retrait, du silence, du renoncement? Ceux que Jean-Yves Jouannais nomme les "artistes sans oeuvres" et Enrique Vila-Matas les Bartleby?... Bien sûr, ces auteurs qui n'ont publié que des bribes, des fragments, ou qui ont délibérément tourné le dos à la littérature après une période d'intense créativité, mais qui ont influencé fortement des générations d'artistes, comme Jacques Rigaut, Arthur Rimbaud, Robert Walser, Joseph Vaché, Salinger et tant d'autres, me rassurent sur mon propre syndrome de Bartleby. Toutes mes défaillances, ma paresse, ma couardise devant la page blanche, mon aquoibonisme, mon angoisse du succès (rassure-toi, ça ne risque pas d'arriver, diront les mauvaises langues) trouvent une justification glorieuse à la lecture de Bartleby et compagnie de Vila-Matas.

Quel écrivain n'est pas tiraillé par la tentation du silence, de la fuite? Vila-Matas lui-même le confie à son traducteur André Gabastou: "Je me souviens que, dès l'instant où j'ai su que je me consacrerais à l'écriture - j'avais alors publié quatre livres -, j'ai commencé à annoncer à mes amis aux hautes heures de la nuit que j'envisageais d'arrêter. "J'écrirai tout au plus encore un livre, puis je me retirerai", disais-je alors que je venais à peine de commencer mon oeuvre et que je n'avais que trente ans. Je crois que je trouvais moralement très élégant de finir juste après avoir commencé."

L'élégance du renoncement! Pouvoir jouir d'une reconnaissance discrète auprès de quelques happy few qui s'échangent vos maigres oeuvres les yeux brillants, tout en étant absent, une chaise vide sur les plateaux de télé, un point d'interrogation - le meilleur Thomas Pynchon de votre génération! Enrique Vila-Matas n'a jamais arrêté d'écrire, mais le syndrome de Bartleby ne l'a pas quitté pour autant. Dans Journal volubile, il imagine à nouveau qu'il renonce à écrire, "mais je crois que si je fais le pas, j'aurais besoin d'un écrivain qui soit témoin de tout, qui emboîte mes pas et le raconte, c'est-à-dire que je devrais embaucher un écrivain qui raconte comment j'ai renoncé à l'écriture, comment je me suis appliqué à faire de ma vie une oeuvre d'art, comment j'ai cessé d'écrire sans en souffrir."

Que faire, en effet, quand on a passé sa vie à transformer la moindre de ses expériences en littérature? Quand à chaque nouvelle rencontre, à chaque nouveau conflit intime, à chaque nouvel accident de parcours, c'est en songeant à la page d'écriture qu'on en tirerait le soir même qu'on a pu garder le cap? Soudain, il faudrait vivre pour vivre, simplement, comme ça? Comment vivent ceux qui n'écrivent pas? Ceux dont toute l'existence n'a pas pour but de finir par un grand livre? Comment vit-on quand on a arrêté d'écrire? Au passage, c'est aussi le sujet du dernier magnifique roman de Marc-Edouard Nabe, L'Homme qui arrêta d'écrire: "Je ne voyais les gens que pour travailler, écrire sur eux, ou parler avec d'autres pour écrire sur tous. Me voilà en train de discuter avec une jeune fille, tout simplement, et je ne la drague même pas."

Pas plus que Nabe, Enrique Vila-Matas n'arrête donc d'écrire. C'est qu'un écrivain a bien d'autres solutions pour disparaître. Vila-Matas, déformation d'écrivain, ne peut s'empêcher d'inventer son destin, de jouer à être un autre. Jamais tout à fait identifiable au narrateur mais jamais très loin derrière, il multiplie les doubles comme Pessoa les hétéronymes. Il feint, il simule. Ca peut le prendre dans l'avion, où il joue à haïr un enfant bruyant, chez lui ou encore dans la rue: "Je m'amuse à inventer que je suis devenu susceptible et souhaite que personne ne m'arrête dans la rue." (Journal volubile).

Le narrateur de Docteur Pasavento, invité à donner une conférence sur la réalité et la fiction à Séville, choisit soudain de disparaître, en hommage à Robert Walser et à son constant refus de la gloire. Là encore, c'est comme un jeu: il a en tête la disparition d'Agatha Christie durant onze jours pendant lesquels toute l'Angleterre l'avait recherchée - mais il comprend rapidement que lui, personne ne se lancera à ses trousses. Dans sa fuite, Pasavento l'écrivain deviendra tour à tour les docteurs Pasavento, Ingravallo, Pynchon, Pinchon... Et ces dédoublements, ces impostures constantes s'accompagnent de dizaines d'autres simulations, comme si Pasavento, fatigué d'être soi, s'inventait sans cesse de nouvelles origines, de nouveaux itinéraires, pour s'effacer lui-même dans la multitude des possibles.

Le syndrome de Bartleby, ce refus d'écrire, marque aussi l'aphasie de la littérature. Le dernier roman de Vila-Matas, Dublinesca, joue avec ce thème comme s'il fallait l'épuiser. Le personnage principal, Samuel Riba, éditeur exigeant concurrencé par l'édition numérique et la mauvaise littérature (le "roman gothique"), vient de faire faillite. Pour couper court à une discussion avec ses parents, il prétend préparer une conférence sur la fin de l'ère Gutenberg qui aura lieu à Dublin le 16 juin suivant, jour du "Bloomsday". Mais ce n'est pas tout de mentir, encore faut-il faire coller la réalité à ce mensonge. L'éditeur décide de réellement partir à Dublin donner cette conférence. A l'endroit même où se déroule dans l'Ulysse de Joyce l'enterrement de Paddy Dignam, Riba entend donc enterrer la littérature. Autre façon de disparaître, pour Vila-Matas: convoquer sans cesse ses auteurs favoris: Joyce, Kafka, Beckett, Walser, mais aussi Roberto Bolano, Emmanuel Bove... Il ne s'agit pas seulement de références littéraires éparpillées ça et là, mais de véritables personnages, qui pèsent sur l'intrigue, incitent le personnage principal à faire des choix. Le docteur Pasavento, dans sa cavale, rejoint l'asile d'Herisau où est mort Robert Walser, et l'homme au mackintosh, personnage étrange qui apparaît et disparaît au gré de la journée de Leopold Bloom dans Ulysse, joue également un rôle important dans Dublinesca. "Il a une tendance exagérée à lire sa vie comme un texte littéraire, à l'interpréter avec les déformations propres au lecteur chevronné qu'il fut pendant tant d'années", écrit Vila-Matas à propos de Riba dans Dublinesca.

C'est peut-être ça, au fond, la solution pour disparaître: devenir un personnage de roman...

Le Magazine des Livres, été 2010.

dimanche 29 août 2010

Une promenade familiale


"Je suis un piéton, rien de plus."
Arthur Rimbaud.

Le ciel ne s'aventure pas jusque chez moi. Y'a pas de ciel chez nous - Y'en a chez la voisine, mais ce n'est pas pour nous. J'habite au rez-de-chaussée d'une tour de huit étages et mes fenêtres donnent sur la tour d'en face. Et puis elles sont orientées plein nord, ce qui me protège de tout ensoleillement. Enfin, tout l'été, des ouvriers qui s'activaient sur la façade de l'immeuble ont condamné la pauvre vue dont je devais me contenter avec leurs échafaudages. J'espère que je vous fais un peu pleurer dans vos chaumières ?

Tout ça pour dire que la lumière du jour m'est devenue essentielle, ces derniers temps. Si l'on ajoute que mes finances ne me permettaient pas de m'exiler une paire de semaines comme une majorité de Français, on comprendra mon engouement soudain pour la marche à pied. Je me suis même surpris à rêver des routes de France en lisant des récits sur l'exode de juin 40 (principalement Le Bouquet d'Henri Calet et 33 jours de Léon Werth) ! Je suivais des itinéraires de fuite aveugle et dérisoire vers la Loire sur une carte Michelin au 1/1000000e. La Débâcle : ça, c'était une période propice aux escapades ! Je peux me permettre d'y penser avec candeur : je n'ai pas connu la guerre, moi.

Au moins, en 40, on savait ce qu'on fuyait. Je n'ai pas les Allemands aux fesses pour justifier ma déroute. Je ne peux chercher à fuir que moi, et c'est peine perdue, je reste agrippé à moi-même comme un sac à dos rempli de remords.
De chez moi, pour rejoindre la portion sud du chemin de halage, je dois traverser le centre de Laval. Il me faut une bonne demi-heure pour atteindre la basilique d'Avesnières, première étape du trajet. L'église du XIIe siècle, dressant son clocher austère face à la rivière, m'appartient un peu, par héritage : ma grand-mère s'occupait de la sacristie. Derrière elle, le chemin passe sous le pont encombré de voitures. Tout d'abord, on pourrait rêver mieux comme sentier de promenade: nous sommes en pleine zone industrielle. Sur la rive gauche, la société laitière Besnier (du groupe Lactalis) impose la blancheur de ses murs à la verdure des arbres. C'est là que mon grand-père travaillait. C'est drôle: ma grand-mère était à la basilique, mon grand-père à l'usine d'en face, et la rivière entre les deux leur faisait comme un lit conjugal. Je marche sur le territoire de mes ancêtres, comme Geronimo.

Le paysage est pour le moins nuancé: sur la rive gauche, la façade de Besnier laisse bientôt place au moutonnement d'arbres du bois Gamats, on pourrait se croire en pleine nature avec la Mayenne paresseuse qui glisse au pied des frondaisons - mais sur la rive droite, où l'on avance, on longe encore des usines, puis un terrain vague qui sert de cimetière aux derniers bateaux-lavoirs, sortis de l'eau il y a peu de temps, et qui achèvent de pourrir dans l'indifférence générale. Dans un champ, un peu plus loin, des chevaux se frottent l'encolure, grignotent une herbe jaune et friable d'un air philosophe. Une odeur forte nous monte aux narines: celle de l'usine d'épuration. Il faut attendre encore d'avoir franchi cet obstacle-là pour espérer profiter pleinement de la promenade.

Mais la civilisation ne s'avoue pas vaincue tout de suite: alors que le paysage retrouvait une apparence un peu sauvage, voilà que nous longeons la départementale! Là aussi, j'ai marché bien des fois: c'était la promenade dominicale quand j'allais chez mes grands-parents, retrouver mes cousins. A l'époque, il n'y avait pas encore de chemin de halage à cet endroit. On marchait sur le bas-côté de la route, en file indienne, parents, grands-parents, oncles, tantes, cousins, cousines... Le bitume s'enroule autour du bois de L'Huisserie, on croirait une route de montagne, toute en lacets, mais en fait d'abîme, c'est toujours la Mayenne qui nous longe, sereine contre les champs secs de l'été. Des mouettes ont établi leur camp de base sur un fil électrique qui surplombe la rivière. Avec leur reflet dans l'eau, il y aurait de quoi peupler une volière ou faire un remake d'Hitchcock. Des canots à moteur déchirent les flots. Des bateaux pour touristes attendent devant les portes de fer de l'écluse de Cumont qu'on les fasse traverser. Il faut compter une vingtaine de minutes pour quitter enfin la départementale en abandonnant à son triste sort un Christ au corps bien blanc et aux plaies bien rouges. Retour, cette fois, à l'état sauvage.

Bien sûr, c'est un état sauvage domestique, un état sauvage d'où la ville n'est jamais loin. On croise toujours des familles, certaines à pied, d'autres à vélo, de courageux joggers qui accordent soigneusement leur souffle à leur foulée, la gourde en bandoulière, des bateaux pour touristes, encore et toujours, des pêcheurs... Certains ont des cannes à pêche sophistiquées, qui font entendre un sifflement strident à chaque prise. Je croyais que les pêcheurs, en général, recherchaient le calme - il faut croire que même ça, ça se perd... Pour la sauvagerie des lieux, donc, il s'agit d'oublier un peu qu'on n'est pas seul à se promener, et se concentrer sur le sentier forestier, sur la lumière surtout, qui tombe en pluie entre les feuilles des arbres, sur la rivière qui suit son cours, s'élargit, prend ses aises. Et sur le ciel, donc, ce ciel mayennais où les nuages rasent l'horizon, frôlent les champs de blé, ce ciel qui me manquait.

Et ça marche. Parfois, loin du bruit de la route, entre l'eau et la terre, on se croirait seul au monde, perdu le long d'une forêt. Un virage nous a caché les promeneurs, un rocher nous protège des cyclistes: il n'y a plus que nous dont nous ne nous débarrassons pas... Pour ça, rien à faire: pas moyen d'être seul sans soi!
Je poursuis donc ma marche seul, c'est-à-dire mal accompagné. Alors que je voudrais simplement laisser la beauté du paysage s'imposer à moi, l'esprit vide, devenir même un peu idiot, pourquoi pas - je ne peux m'empêcher de faire des phrases, de songer à ce que deviendra cet endroit une fois couché par écrit. Je teste des métaphores, couvre de vert une palette mentale, mesure la transparence de l'eau et l'aspect des nuages qui se reflètent dedans, enregistre le rapide frottement d'une vipère qui file se planquer sous une pierre, transforme cette promenade en page d'écriture. Je ne peux même pas me laisser goûter cet instant en paix.

Quand on commence à bien connaître un sentier de promenade, on devient gourmand. Les distances qui d'abord nous étaient apparues assez importantes pour décider de rebrousser chemin, ne nous suffisent bientôt plus. Non seulement on veut aller plus loin, mais on s'aperçoit même qu'on est loin d'être fatigué à l'endroit où, la dernière fois, on a préféré renoncer. Au contraire, c'est là qu'on se sent en pleine forme, surtout quand le premier tournant, sur cette partie du chemin que nous ne connaissions pas, nous illumine de beauté. L'écluse de Bonne est très sobre, mais elle apparaît dans un élargissement de la rivière et je ne sais quoi dans la lumière fait scintiller l'ensemble. Je n'allais pas jusqu'ici, avant.

Sur le chemin, il y a tous ces autres chemins qui s'offrent à nous, et qu'on n'emprunte pas, parce qu'on a décidé qu'on irait tout droit. Mais on se dit qu'un autre jour, il faudra se laisser tenter. Et puis, il y a la rive d'en face et tout ce qu'elle montre de trajectoires, d'itinéraires à suivre... Il n'y aura jamais assez d'autres jours, on le sait bien, même si on est encore jeune.

La Mayenne poursuit son cours placide, elle n'est pas du genre à s'énerver. Aux approches d'Entrammes, un îlot la sépare en deux. Derrière des arbres, un pont de pierres délabré qui semble là depuis l'Antiquité raccorde cet îlot à la rive gauche. Des ruines et un escalier de pierre me donnent envie de me promener par là - ce sera encore pour un autre jour.
Un autre bain de lumière m'accueille au détour du chemin, quand apparaît le large pont d'Entrammes, face à l'écluse, encore une, de Port-Rhingeard. Ici, la Mayenne s'étale largement, on croirait arriver dans une importante ville d'eau: Entrammes, la Venise de l'Ouest. Sur la rive où je me trouve, le château de La Mettrie impose ses briques rouges au paysage. Une aile seulement en est visible depuis le sentier. Ensuite, les arbres le dissimulent au regard avec un talent surprenant. On jurerait que les propriétaires ont étudié minutieusement tous les angles morts possibles afin que le moindre feuillage, la moindre branche fassent écran. Il faudra que je revienne par là cet automne, voir si ce château fait autant le malin derrière des arbres dépouillés...

Me voilà donc arrivé à Entrammes, à huit kilomètres de mon point de départ. La ville où habite mon frère. Décidément, c'était une promenade familiale. Au-dessus de l'écluse de Port-Rhingeard, le clocher de l'abbaye du Port du Salut domine le paysage. Avant de faire demi-tour, je quitte le chemin de halage et emprunte le pont d'Entrammes. Sur la gauche, un petit escalier de pierre mène à l'écluse. Je descends, me retrouve camouflé derrière les arbres, à mon tour, comme le château de La Mettrie, et je comprends bien ce que cette situation peut avoir d'agréable. Voir sans être vu aura été un des grands plaisirs (honteux) de ma vie.

Mais il faut repartir: j'ai encore du chemin à parcourir, à rebrousse-poil, pour rentrer chez moi. Sans voiture, et à défaut de tout autre moyen de transport, je suis condamné à me comporter comme une balle de jokari: je peux aller dans toutes les directions que je souhaite, je reste toujours solidement relié à ma base, comme une chèvre accrochée à un arbre. Je me console en pensant que c'est pour tout le monde pareil - il n'y a que la longueur de la corde qui change...

mercredi 28 juillet 2010

En marchant, en écrivant


"Je n'écris pas seulement de la main,
Mon pied lui aussi veut toujours faire le scribe.
Ferme, libre et vaillant, il se met à courir
Tantôt à travers champ, tantôt sur le papier."
Nietzsche, Le Gai Savoir.

Comme tous ceux qui ne sortent jamais de chez eux, j'aime les voyages. J'écris ça comme pour m'en convaincre. Mais comme tous ceux qui ne sortent jamais de chez eux, je ne peux m'empêcher de penser que les voyages, ce n'est pas pour moi. Qu'au mieux, je ne peux que les rêver devant mon écran de télé, me contentant des explorations d'un autre, filmées par un autre, avec toutes les frustrations que cela suppose (et ce sentier perdu de la province du Ratanakiri, pourquoi le cadreur ne l'a-t-il pas emprunté ? Pourquoi s'en est-il détourné au bout de trois pas ?). Les rêver dans les livres, aussi, bien sûr : j'en ai fait des kilomètres dans les Cévennes, avec Stevenson et son âne ! Et il ne m'a pas fallu quatre-vingt jours pour lire le périple de Phileas Fogg ! Et la Loire, et la Garonne, je les ai suivies dans leurs méandres avec Henri Calet... Je ne sais pas si c'est l'âge, ou plutôt la conscience que mon dernier véritable voyage remonte à une éternité et que le prochain ne s'annonce pas pour tout de suite, mais j'en suis arrivé à suivre les étapes du Tour de France simplement pour jouir du paysage. Les "duels" entre Alberto Contador et Andy Schleck qui semblent passionner les commentateurs ne me font ni chaud ni froid, mais je parviens même à supporter l'exécrable voix asphyxiée de Laurent Fignon s'il m'est permis d'apercevoir la belle cathédrale romane d'Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées Atlantiques) ou les sommets du Tourmalet emmitouflés sous les nuages... Je file un mauvais coton.

Pourtant, il me semble que j'ai l'âme d'un voyageur. Pas d'un grand voyageur, le genre qui abandonne tout derrière lui pour s'évader durant des mois, non - un petit voyageur modeste, qui aime voir un peu de quoi le monde a l'air, mais qui apprécie tout autant de rentrer chez lui et de retrouver ses habitudes, de poser ses bagages un peu plus riche de sensations et d'émotions qu'il l'était en partant.

Mais comment partir quand on n'a pas le permis de conduire, qu'on ne possède pas de vélo, qu'on n'est pas particulièrement débrouillard et que l'idée même de demander l'heure à un inconnu nous intimide ? Ne parlons même pas de lui demander le gîte et le couvert... J'en suis réduit à m'imaginer dans la peau d'un voyageur sans quitter mon appartement. J'ai l'habitude de ces petites impostures : je m'imagine aussi souvent avec une femme, moi qui ne sais pas toucher les femmes... Je joue même à l'écrivain, parfois. Un jour, il faudra bien que j'arrête de rêver ma vie pour la vivre réellement...

Il a fallu que je baisse la tête pour comprendre que mon amaxophobie n'était pas un problème : j'avais des pieds ! C'est le B.A.ba du voyageur : deux pieds, une paire de chaussures, et la route s'ouvre à lui. Il suffit de passer la porte.

Bizarre que ça ne me soit pas venu à l'esprit plus tôt. Il y a pourtant des années que je suis un piéton ! Il est vrai que j'ai marché tard : à vingt mois. Ma grand-mère allait même brûler des cierges à l'église pour que je me lève et marche, comme Lazare... Mais alors, une fois que j'ai compris le mécanisme de placer un pied devant l'autre et de recommencer, je n'ai plus cessé de le mettre en application ! Je n'utilise presque jamais les transports en commun à Laval : il n'y a que la semelle de mes chaussures que j'use. Mes collègues sont toujours surpris d'apprendre que je fais plusieurs fois par jour le trajet pour me rendre au travail à pied. Eux ne pourraient pas, la voiture les a rendus fainéants - c'est ce qu'ils me disent. Oui, j'avais à ma disposition le véhicule idéal pour m'envoyer promener, et je ne m'en rendais même pas compte.
L'aventure commence sitôt franchi le seuil de mon immeuble de la rue Guynemer, à Laval, donc. Pour une fois, je marcherai sans but précis, sans volonté de me rendre au boulot, ni d'aller traîner d'une librairie à l'autre, ni d'entrer dans l'épicerie la plus proche. Mon seul but, pour une fois, ne sera pas une destination quelconque mais le chemin pour y parvenir. Je descends la raide rue de l'Ermitage, celle où je suis né, et qui accouche une nouvelle fois de moi devant le passage pour piétons de la rue du Vieux-Saint-Louis. Tous les passages pour piétons du monde m'appellent : ils me sont destinés ! Depuis un ponton de bois, à l'ombre du viaduc, des ados plongent dans la Mayenne sans se soucier des panneaux "BAIGNADE INTERDITE". Je traverse la passerelle qui longe les arcades majestueuses du viaduc, qui ressemblent aux anneaux d'un serpent de mer gigantesque et docile.

Pourquoi éviterai-je les sentiers battus, puisque je ne cherche qu'à marcher ? Le chemin de halage est une institution à Laval, au même titre que l'entreprise Lactalis, le Musée du Vieux-Château et le quart d'heure mayennais (qui consiste à arriver à tout rendez-vous avec au moins un quart d'heure de retard (de mauvaises langues prétendent que dans bien des domaines, on devrait parler de "quart de siècle" mayennais - mais il faut les ignorer)).

Le chemin de halage, donc. Ici, sur le quai de Bootz, il s'accroche à la rive gauche de la Mayenne, qu'il suit fidèlement sur des kilomètres. La famille d'Alfred Jarry a vécu un moment juste à côté d'ici, au 13 de la rue de Bootz. Lui est né plus loin, sur la rive d'en face, en 1873.

Le long de la rivière, les habitations prennent des airs de châteaux ou de villas, alanguies et ventrues sous le soleil d'été. Des familles en vacances glissent sur l'eau dans des bateaux de plaisance ; on croirait que l'océan va apparaître au prochain tournant.

Mais devant, il n'y a que l'écluse de Bootz. Les écluses jalonnent la Mayenne et sont comme des bornes pour le promeneur, des étapes à franchir. Etapes symboliques, bien sûr, puisque encore une fois, on ne va nulle part... Pas à pas, on s'approche d'elles, on a le temps de les voir arriver, minuscules chutes d'eau coudées avec leur barrage miniature sur la droite... En voiture ou en train, le paysage n'a pas le temps de s'imprimer en vous. À peine voyez-vous un pont se dessiner à l'horizon, vous êtes déjà en train de le franchir, vous l'avez déjà dépassé, le temps de vous retourner, il a déjà été avalé dans un virage. À pied, vous apercevez le pont longtemps à l'avance, enjambant la rivière, il vient à vous tranquillement, parfois des arbres le cachent, et il réapparaît un peu plus proche, encore un peu plus familier. Lorsque vous passez dessous, vous l'avez adopté, il fait partie de vous. Il restera encore un moment derrière vous, s'éloignant peu à peu.

Le pont de Pritz me tourne le dos, il s'enfonce peu à peu dans le vert des arbres. À pied, les noms les plus familiers deviennent des invitations au voyage : Pritz et sa chapelle romane du XIe siècle, L'Huisserie, Entrammes, Ahuillé, Saint-Jean-sur-Mayenne, Saint-Germain-le-Fouilloux... Des noms sans gloire, à quelques kilomètres de Laval, mais qui pour le marcheur deviennent aussi exotiques que Valparaiso, Oulan-Bator ou le Cap Horn : des terres étrangères de proximité.

Le sentier continue, j'y croise des coureurs à pied et des familles à vélo. Un père menace pour rire sa fille qui le suit avec peine : "Si tu continues, je fais des zigzags!" Et la petite, horrifiée : "Oh non, papa, s'te plaît ! PAS DE ZIGZAGS ! PAPAAA !..." Parfois, des cyclistes qui m'avaient dépassé repassent devant moi après avoir fait demi-tour plus loin.

Sur la rive d'en face, le paysage n'est jamais le même. Les villas au bord de l'eau ont disparu, remplacées par une végétation très dense, qui elle aussi s'est faite oublier, laissant la place à des hectares de bocages faisant le dos rond. Puis les arbres à nouveau s'amoncellent, forment un mur, la rivière en devient vert épinard, comme si la couleur avait dégouliné. D'ici, le bois le plus modeste prend des allures de forêt amazonienne. Seuls le bruit de la circulation et les chromes reflétant le soleil en flashes rapides trahit la route derrière les arbres. Encore un changement, un parc apparaît, on aperçoit des lanceurs de frisbee, et c'est le pont de Changé qui s'annonce. L'église du village passe la tête par-dessus les branches. Autour d'elle, quelques nuages blancs s'accrochent au ciel bleu, comme des post-it sur un écran d'ordinateur.

Je continue. J'ai l'impression que je ne peux plus faire que ça, continuer. La rivière me suit fidèlement, j'avance. Elle aussi se cache parfois derrière les arbres. Le sentier recherche l'ombre, ma tête aussi, mais droit devant, le soleil tombe en pluie. L'autre rive se fait vallonnée, des saules pleureurs hésitent entre se pendre au ciel ou se jeter à la flotte. Finalement ils restent là, au bord du gouffre, indécis, comme vous et moi. À ma droite, côté terre, des vaches broutent une herbe jaune et sèche. À gauche, de l'autre côté, des rochers émergent de la verdure comme un os d'une fracture ouverte. J'arrive à l'écluse de Belle-Poule, avec son moulin à blé dévoré par le lierre. Je continue.
Un peu plus loin s'avance le château du Ricoudet, carré, un air d'hôtel quatre étoiles, construit en 1864 par le comte d'Elva, déjà propriétaire du château de Changé. Je passe encore sous un pont. Une nouvelle étape. Est-ce que je continue ? Allez, je continue. Quand je regarde droit devant, j'ai l'impression qu'on s'enfonce, moi et la rivière, dans une immense forêt. En fait, derrière les arbres, la sauvagerie a été domestiquée. Tous les reliefs, bosses et accidents du terrain, ont l'air d'avoir été étudiés de près : c'est un golf. Des quadragénaires en bermuda poussent leurs caddies remplis de clubs. Et toujours des sonnettes de vélo pour me prévenir : je me range sur le côté. Des familles toujours, le père, la mère et les enfants. Parfois, de jolies jeunes filles en shorts microscopiques, leurs cuisses longues et brunes s'activant sur le pédalier.

Un vieux chaland rouillé est amarré sur la Mayenne. Son nom : Florence. Encore une invitation au voyage ? Ou un rappel mesquin des voyages ratés ? Quand l'horizon s'élargit, la rivière prend de nouveaux aspect. Elle n'est pas la même, entourée d'arbres en fleurs, ou cernée de champs aux courbes douces. Ses méandres ne sont pas les mêmes. Elle semble moins sauvage, plus calme.

J'arrive à l'écluse de Boisseau, dernière "étape" avant Saint-Jean-sur-Mayenne. Je ne vais pas m'arrêter en si bon chemin ! Je poursuis ma route. Très vite, je vois le pont de Saint-Jean. Cette fois, j'y suis. Mais le sentier continue, je pourrais continuer...

Voilà presque deux heures que je marche, et il va bien falloir que je rebrousse chemin : ça fera quatre heures en tout. Le soleil de cinq heures du soir, intense, fait scintiller la rivière. Allez, je rentre. Je reviens sur mes pas en suivant toujours la Mayenne dans sa robe à paillettes. Mes pieds vont commencer à me faire mal - c'est ça qui est bon. Je ne pense à rien en marchant, ou je pense à tout. Mes réflexions vont et viennent au fil de mes pas, sans s'accrocher, sans insister. Et plus je marche, plus j'ai envie d'écrire. Ecrire sur ce vide, sur rien : les promenades d'un rêveur solitaire...

lundi 19 juillet 2010

Propagande 3 - Le Magazine des Livres n° 25



Le Magazine des Livres de l'été vient de sortir. Après le numéro précédent, pour lequel j'avais rédigé une étude sur les journaux intimes d'écrivains et inauguré un feuilleton, "Voyage dans une bibliothèque", avec un article sur Jean-Pierre Martinet déjà publié ici, je le poursuis dans cette dernière livraison avec un texte inédit sur Enrique Vila-Matas.

samedi 10 juillet 2010

Des journaux de moins en moins intimes

[Ce texte, publié une première fois dans le Journal de la Culture en septembre 2004, dans une version sensiblement différente, a été revu, corrigé et réactualisé pour le numéro 24 du Magazine des Livres, paru en mai/juin 2010.]

Du jour où le diariste s'est mis à songer, au cours même de leur rédaction, à la postérité possible de ses carnets intimes, le journal est devenu problème, ou tout du moins sujet de débat. « Il faut écrire pour soi, affirmait Ionesco, c'est ainsi que l'on peut arriver aux autres(1). » Mais dans le cadre d'un journal, si l'on présage déjà de ses lecteurs futurs, écrit-on encore pour soi ? La perspective d'être lu, le regard des autres, ne viennent-ils pas altérer la sincérité, dévier la spontanéité ? La part de l'intime ne se réduit-elle pas comme peau de chagrin à mesure que la date de publication du journal se rapproche de l’époque de sa rédaction ?


Loin de nous la prétention de répondre à ces questions, puisque ces questions sont exactement l'enjeu du journal et de son auteur. Si l’on tient un journal, et un journal intime, il semble naturel d’y écrire toute la vérité, d’y exposer les mouvements de sa pensée et les petits faits du quotidien sans censure ni tabou. Le diariste se doit de rechercher sans cesse l'honnêteté absolue : son défi, c'est de traquer sans répit la part la plus profonde de son intimité, quand bien même son journal serait lu en temps réel. Mais la vérité est la planète la plus éloignée du système solaire : on aura beau s'en approcher avec la meilleure volonté qui soit, on en sera toujours à des milliers d'années-lumière. L'humilité du diariste, c'est de s'en contenter. Il existe des journaux d’écrivains de toute sorte : certains auteurs vont très loin dans l’analyse de leur moi intime, d’autres savent rendre à la perfection les mouvements de leur époque, certains n’épargnent personne, ni leurs proches ni eux-mêmes… Chacun de ces diaristes se forge sa propre idée de ce que doit être son journal : laboratoire d’écriture, épanchement quotidien, miroir d’une âme – chacun se forge sa propre idée de la « vérité » du journal intime.


Paul Léautaud considérait que c'était par la spontanéité de l'écriture, le premier jet sans correction ni refonte, qu'il touchait à cet idéal du Vrai. « Quand donc pourrai-je oublier la "rhétorique" et ne plus faire, malgré moi, des phrases ?(2)» Le Journal intime de Marc-Édouard Nabe, au contraire, est d'un style très appliqué, chaque entrée pouvant presque se lire comme une nouvelle, une critique littéraire ou artistique... Chacun a sa propre conception du journal intime, et chacun pense que c'est la bonne. Et à chaque fois, c'est sans doute la bonne : ce genre littéraire est beaucoup moins figé qu'on ne le croit.


Jusqu'à la fin du XIXe siècle, les journaux que l'on pouvait trouver dans les librairies étaient ceux des grands explorateurs, où à l'intime était préférée la subjectivité du regard, l'étude et la compréhension des coutumes indigènes, de la géographie des lieux, etc. Il s'agissait d'instruire le lecteur, pas de lui parler de soi. Et, dans les vingt dernières années du XIXe, les choses se précisent. En 1883, Barbey d'Aurevilly publie ses Memoranda et Fanny Mercier un choix de pages extraites du Journal d'Amiel, mort deux ans auparavant, et dont elle est la légataire. Là encore, la vie privée est laissée de côté au profit de la description d'une pensée en mouvement.


L’intime sur la voie publique


Il faut en effet attendre 1887 et la publication du Journal de Marie Bashkirtseff et de celui des frères Goncourt pour que l'intime sorte sur la place publique en défonçant toutes les portes. « Non seulement je dis tout le temps ce que je pense, mais je n'ai jamais songé un seul instant à dissimuler ce qui pourrait me paraître ridicule ou désavantageux pour moi. Du reste, je me crois trop admirable pour me censurer. Vous pouvez donc être certains, charitables lecteurs, que je m'étale dans ces pages tout entière(3)», clame Marie Bashkirtseff dans sa préface. Et Edmond de Goncourt, dans la sienne, annonce en écho : « Dans cette autobiographie, au jour le jour, entrent en scène les gens que les hasards de la vie ont jetés sur le chemin de notre existence. Nous les avons portraiturés, ces hommes, ces femmes, dans leurs ressemblances du jour et de l’heure, les reprenant au cours de notre journal, les remontrant plus tard sous des aspects différents, et, selon qu'ils changeaient et se modifiaient, désirant ne point imiter les faiseurs de mémoires qui présentent leurs figures historiques, peintes en bloc ou d’une seule pièce, ou peintes avec des couleurs refroidies par l'éloignement et l'enfoncement de la rencontre, – ambitieux, en un mot, de représenter l'ondoyante humanité dans sa vérité momentanée(4). »


D’entrée de jeu, les Goncourt posent de nouvelles règles au journal : il ne s’agit plus tant de parler de soi que de faire entrer les proches, les amis, toutes les relations sociales à l’intérieur de cette écriture. Publié d’abord du vivant des frères, dans une version censurée, puis longtemps après leur mort, en 1956, dans son intégralité, le journal se fait « mémoires de la vie littéraire », On y évoque les artistes du temps, les salons, les querelles, la réception critique des ouvrages, les fours et les succès… Pour la première fois, la publication d’un journal, parce qu’elle a lieu du vivant de ses auteurs, provoque des modifications dans le comportement des artistes du temps, conscients qu’à trop fréquenter Edmond et Jules de Goncourt, ils s’exposent à apparaître sous leur plume… Le philosophe Taine écrit ainsi à Edmond, le 12 mars 1887 : « Laissez-moi vous prier d’omettre dans votre prochain volume tout ce qui peut me concerner. Quand je causais avec vous et devant vous, c’était Sub Rosa, comme disait notre pauvre Ste Beuve, en tout petit comité, portes closes ; aucune de ces paroles exagérées, improvisées n’étaient dites pour la publicité(5). »


Les « potins » de la vie littéraire et mondaine ne finiront plus de trouver leurs lecteurs. Publié une première fois en 1985, le Journal que l'Abbé Mugnier a tenu de 1879 à 1939 est un beau compromis entre l'observation ethnographique et l'exploration intime. Durant soixante ans, les pavés germanopratins ont résonné du claquement caractéristique des gros souliers carrés à peine dissimulés par la soutane élimée de ce curé de campagne qui avait les qualités les moins adaptées pour réussir dans un tel univers : la modestie, la sensibilité – et la fraîcheur d'âme. Mais il admirait cette société et aimait plus encore la littérature. Les grands écrivains français, de Huysmans à Mauriac, en passant par Claudel, Proust ou Anatole France, se retrouvent dans son journal, véritable roman des mœurs littéraires et politiques de l'époque, comédie humaine décrite dans toute sa crudité. La publication posthume permet d’évacuer les questions de respect de la vie privée, et les pages du Journal de l’abbé Mugnier regorgent d’anecdotes qui n’auraient jamais pu être publiées du vivant des personnes mentionnées : « Hier soir Huysmans m’a raconté "la luxure porcine" de Guy de Maupassant. Un jour, dans un dîner de 14 personnes (Huysmans en était), Maupassant se vanta de lasser une femme. On se rendit (les 14) rue Feydeau et devant tous, Maupassant se mit à poil et fit cinq fois la chose avec une femme. Flaubert était là qui surveillait et s’amusait beaucoup de tout cela. Les audaces lubriques de Maupassant charmaient Flaubert qui disait : "Ça me rafraîchit."(6)»


Des éditions épurées

Évidemment ces publications, notamment celle du Journal de Marie Bashkirtseff qui n'était plus là pour défendre ses écrits, étaient abrégées, tronquées, voire réécrites dans le sens du bon goût et de la bienséance. Il était hors de question que la jeune artiste issue de l'aristocratie russe et morte tuberculeuse à vingt-quatre ans puisse être considérée autrement que comme une nouvelle « dame aux Camélias », un peu excentrique, mais tellement romantique (au sens étymologique et moderne du terme !) : un modèle à suivre pour les filles de bonnes familles. Hors de question, donc, de parler d'autre chose que d'une amourette d'enfant pour le duc de Hamilton : silence radio sur ses histoires, pourtant un peu plus réelles, avec Émile d'Audiffret ou Paul de Cassagnac, ou encore sur son désir soigneusement consigné dans l'un des 105 cahiers qui composent son journal manuscrit de « toucher l'homme ». Silence radio sur la collaboration de Marie à la revue socialiste et féministe La Citoyenne. Silence radio, évidemment, sur les portraits pas toujours très tendres des membres de sa famille. Marie Bashkirtseff a donc réussi le double exploit de publier à la fois le premier journal intime autoproclamé... et, bien malgré elle, la première tentative d'adaptation d'un journal intime à la littérature pour demoiselles…


Lorsque les diaristes n’allègent pas eux-mêmes leurs écrits intimes avant leur publication en volume, par précaution, pour éviter les ennuis ou parce qu’ils veulent n’en conserver que ce qui leur semble important (les mouvements de leur pensée, leurs réflexions sur les arts, plutôt que leurs problèmes de chaudière ou leurs déboires sentimentaux, par exemple), on peut généralement compter sur leurs ayants droits, à l’occasion des premières publications posthumes, pour caviarder le texte comme bon leur semble, afin de ne pas ternir l’image de leur cher disparu… On sait que la veuve de Jules Renard a supprimé près de la moitié de son Journal avant sa publication. Ce Journal est inauguré en 1887, l’année même où Edmond de Goncourt publie le premier volume de ses Mémoires de la vie littéraire. Mais Jules Renard, qui tenait ce journal sans envisager sa publication, aurait sans doute de lui-même apporté des changements à son manuscrit si l’occasion s’était présentée d’une parution en volume. « Résumer mes notes années après années, écrit-il en 1906. Dire : "J’aimais, je lisais ceci, je croyais cela." Au fond, pas de progrès.(7)» Le journal intime étant le lieu de l’expérimentation, de l’ébauche, de la note rapide, rédigée dans le confort du secret, il est naturel qu’au moment d’une publication définitive en volume, le diariste soit pris de scrupules et s’attache à rendre son texte « présentable », en y ajoutant des corrections, en y coupant ce qui lui paraît négligeable ou redondant… voire en le réécrivant totalement !

Matthieu Galey, en apprenant le 29 février 1984 qu’il est atteint d’une sclérose latérale amyotrophique qui ne lui laisse que quelques années à vivre (il mourra deux ans plus tard), décide de reprendre entièrement le journal qu’il tient en secret depuis son adolescence pour en préparer une édition posthume. Parcourant ces cahiers avec vingt-cinq ou trente ans de recul, il taille dans la masse. « La figure que j’y fais ne me plaît guère, sot, vaniteux, frivole, coureur, snob, méprisant – et Dieu sait si j’élimine des pages et des pages sans intérêt, des coucheries oubliées, des considérations philosophiques ou des flambées sentimentales d’une banalité abyssale ! (…)(8)» Après la mort de Matthieu Galey, ce seront au tour de sa famille, notamment son père et sa sœur, puis de ses éditeurs, de reprendre le manuscrit et d’en supprimer certains passages afin de ménager les susceptibilités. Si le journal intime est le lieu du « premier jet », d’une écriture qui ne se soucie pas de plaire, ou qui ne devrait pas s’en soucier, puisqu’elle ne s’adresse à aucun lecteur, sa publication a d’abord été vouée aux modifications, aux améliorations – finalement, le fantasme d’un journal intime publié in extenso, dans sa vérité première, est très récent, et assumé par des écrivains comme Gabriel Matzneff, Marc-Édouard Nabe ou Renaud Camus…

Et ce souci d’exhaustivité, ce désir de ne pas faire de choix mais de publier intégralement les écrits intimes de certains auteurs nous valent aujourd’hui de voir apparaître au grand jour des œuvres aussi poignantes que le Journal de Mireille Havet, jeune poète amie d’Apollinaire et de Cocteau, qui a brûlé sa vie dans la drogue et l’amour des femmes, morte à 33 ans après avoir publié un conte, quelques poèmes et un court roman assez oubliable. La parution de ce témoignage monstrueux de vérité, de ce journal-fleuve qui décrit au quotidien une infernale course vers la mort, est sans conteste le chef d’œuvre inconnu (plus maintenant) de Mireille Havet. Dans le secret de ces pages, la « petite poyétesse » d’Apollinaire, qui avait joué la Mort dans l’Orphée de Cocteau, pouvait se livrer toute entière, sans fard, n’épargnant personne et surtout pas elle. « Ce cahier n’ayant d’autre but, écrit caché comme il l’est, que de m’instruire moi-même plus tard par une sorte de schéma rétrospectif de ma vie… devenu rétrospectif, mais pris alors sur le vif, aucune raison de vantardise humaine ne pourrait m’y faire mentir et noter des pensées et des symptômes excessifs, imaginaires consciemment, ou qu’il est impossible psychologiquement à ma nature de ressentir(9)», écrit-elle en 1926. Avait-elle deviné que c’était cette âme consumée vivante, crachée sur ces cahiers, qui lui vaudrait un jour d’être « redécouverte » ?

Et Cesare Pavese pensait-il à une publication posthume en tenant son incontournable journal, qui ne sera retrouvé qu'après sa mort, survenue le 27 août 1950 ? L'homme est désespéré. Pour lui, vivre est un métier. Très entouré dans la journée, ses nuits sont de véritables calvaires : « Je passais la soirée assis devant ma glace pour me tenir compagnie... » Entre notes de lecture et aphorismes, le romancier turinois revient sans cesse sur sa solitude, ses angoisses, son obsession du suicide et de la mort, qui, finalement, sont devenus une façon de vivre. Ainsi, en 1936, déjà : « Et je sais que je suis pour toujours condamné à penser au suicide devant n'importe quel ennui ou douteur(10). » La question est entêtante. À un point tel qu'il fait à peine allusion au fascisme, à la guerre, à la résistance. Aucun détail sur sa vie quotidienne. Des idées, des réflexions, une leçon de vie fulgurante. Quelques jours avant de passer à l'acte, il conclut son Journal de façon définitive : « Pas de parole. Un geste. Je n'écrirai plus. »


Le journal-feuilleton

« Au seul point de vue de l'histoire des Lettres françaises, il n'est pas inutile qu'on sache de quelle manière la génération des vaincus de 1870 a pu traiter un Écrivain fier qui ne voulait pas se prostituer(11). » Voilà le cri de guerre de Léon Bloy en préface au Mendiant ingrat (le cri est poussé en 1895, l'ouvrage paraîtra trois ans plus tard). Le premier volume des écrits intimes de l'auteur catholique inaugure une série de huit livres scandaleux, dont le dernier sera publié posthume en 1920. Le journal intime devient feuilleton, et il devient surtout une arme. Le diariste juge ses contemporains, les glorifie ou les couvre d'immondices pour la postérité. Mais Bloy n'édite pas l'intégralité de son journal : il n'en conserve que l'essentiel, réduisant parfois le compte rendu d'une rencontre à une simple formule, nommant certaines personnes et masquant l'identité des autres. Entre la rédaction du journal et sa publication, il y a encore une longue phase de réécriture et de mise en page. Les éditions L’Âge d’Homme ont commencé depuis 1996 la publication intégrale du Journal de Léon Bloy, et il est passionnant de comparer les deux versions, de voir quels passages ont été supprimés, et comment l’auteur est parvenu à ramasser une longue anecdote en une simple remarque cinglante. Et quelle hargne, toujours ! Dans L’Invendable, quatrième volume de son Journal, il écrit en 1906 : « Voici que nous changeons, une fois encore, de gouvernement. Chaque fois que la République ôte sa chemise, c’est pour en mettre une plus merdeuse. Le maître, cette fois, le dictateur, c’est Clémenceau, environné de ses domestiques, parmi lesquels Briand le souteneur et la fille Picquart. À quelle curée vont se livrer encore ces chiens ?(12)»


Les Goncourt, et Léon Bloy à leur suite, ont créé un genre en publiant leur Journal. Qu’il s’agisse d’une peinture de la vie littéraire, du témoignage d’une époque, la parution du premier volume inaugure une série, un feuilleton dont les épisodes suivants, maintenant qu’il est de notoriété que ce journal existe, et qu’il est voué à être rendu public, sont attendus avec intérêt, mais aussi avec terreur par le monde des lettres, qui s’y voit généralement pris pour cible.


Léautaud se fera le maître des « potins » de la vie littéraire parisienne. Son Journal littéraire, pourtant, s’attache aussi aux petites choses du quotidien, aux animaux abandonnés que l’auteur ramasse dans les rues et rapporte dans sa maison de Fontenay-aux-Roses, à ses conquêtes féminines – mais c’est dans la critique grinçante des mœurs des gens de lettres qu’il se montre à son meilleur. Il faut croire que les éditeurs aiment ce genre de châtiment, puisque les cinq volumes du Journal posthume de Jacques Brenner ont été publiés récemment chez Pauvert, et que celui-ci y démonte sans vergogne la « cuisine » des prix littéraires…


Le journal publié en feuilleton, sans devenir tout à fait une tendance, finit par faire quelques émules : on peut songer au Temps immobile de Claude Mauriac, au Journal de Julien Green, à celui de Charles Juliet, et bien sûr à ceux de Gabriel Matzneff, de Marc-Édouard Nabe et de Renaud Camus.


Bien qu'intime, le journal s'affiche donc : les proches du diariste, ses éditeurs, ses confrères, les artistes de son temps, tous connaissent l'existence de ce journal et sa publication à plus ou moins long terme. Cette connaissance peut aller jusqu'à modifier les comportements de ces individus qui se résignent, de plus ou moins bonne grâce, à devenir des personnages. « Cela va peut-être amener bien des gens à se méfier de moi dans leurs propos ou leurs potins »(13), s'inquiète Léautaud dès 1922, alors qu'il n'a encore publié qu'un extrait de son Journal littéraire, consacré à la mort de Charles-Louis Philippe, dans le Mercure de France. D'autres « personnages », au contraire, savent utiliser le journal intime de leur ami comme une tribune : « Les communistes sont des dégonflés sionarts, me dit Besson, tu peux l’écrire dans ton Journal !(14)»


Figer le temps


Les écrivains ne font pas seulement de leurs carnets leurs confidents, mais un miroir sans indulgence où se reflètent leurs doutes et leurs réussites, un instantané au quotidien qu'ils pourront retrouver, avec plus ou moins de bonheur, des années après. « Parfois je me dis que le journal c'est mon Portrait de Dorian Gray », avait déclaré Nabe lors d'un entretien radiophonique en 1994... Ils en font aussi le laboratoire de leur propre écriture, le lieu d'une réflexion constante, et constamment renouvelée, sur soi, mais également sur l'art, sur la littérature et la place d'un écrivain dans la société... Pour Gide, cet exercice journalier est souvent difficile, et il se force, par volonté d’écrire, de noter les faits les plus banals, les événements les moins significatifs. Et parfois, ce qui mériterait d'être consigné est tout simplement passé sous silence. Ainsi, le 11 février 1912 : « Samedi, minuit. Je m’y prends trop tard, ce premier jour où précisément j'aurais à écrire autre chose enfin que des plaintes(15). »

Le diariste s'empare de son journal, mais parfois le journal s'empare du diariste et le dévore. C'est le cas on ne peut plus célèbre d'Amiel, dont le Journal intime monumental est la seule œuvre véritable (mais quelle œuvre !). « Un fils, un livre et un beau cours improvisé, ç'aurait été mes seuls désirs », écrit-il le 9 janvier 1861. Son fils, son livre, son cours improvisé jour après jour existeront bien, après sa mort, dans les 16 840 pages noircies tout au long de sa vie, dont les éditions l'Âge d'Homme ont publié l'intégralité. Le diariste en vient toujours, à un moment ou à un autre, à ne plus avoir de matière sur laquelle écrire. Le temps même de la rédaction de son journal empiète sur sa vie, sa graphomanie réduit irrésistiblement le temps à consacrer à l'étude, au travail, à l'amour, au repos. Plus la journée a été remplie et plus son compte rendu rigoureux lui demandera d'efforts, et la journée du lendemain n'en sera que plus vide ... Henri-Frédéric Amiel ne dissèque pas seulement la journée qu'il va vivre : il se projette des mois, voire des années en avant. Chaque choix l'oblige à peser longuement le pour et le contre dans ses cahiers : dois-je quitter Genève ? Dois-je accepter ce poste de professeur ? Dois-je me marier ? Il dresse de longues listes d'épouses potentielles, recense leurs défauts et leurs qualités – et finalement, n'en épouse aucune. Il fait des projets de livres ou d'études, et finalement ne les écrit pas. Comme s'il se contentait d'avoir « vécu » virtuellement les choses dans ses cahiers et n'avait plus ensuite suffisamment de force ou de courage pour les vivre réellement. « Ce journal est un exutoire ; ma virilité s'évapore en sueur d'encre. Il m'a souvent dispensé d'ami et de femme, en un mot du prochain ; il me délivre encore de mon Moi actif. Tout mon être se résout en contemplation, en réflexion. Ce qui pour d'autres se condense et se concrète en oeuvres et en actes, ce qui devient ailleurs livre, famille, capital, gloire, vertu, se distille ici en phrases vaines, en sentences creuses, en formules stériles. J'ai quelquefois pensé que la rédaction de ces pages, était un remplaçant de la vie, était une variété de l'onanisme, une ruse de l'égoïsme couard, une manière d'échapper au devoir, de tromper la société et la Providence(16). »


Mais Amiel n'est pas le seul exemple de diariste englouti sous la masse de son Journal : Jehan Rictus, l'auteur des Soliloques du pauvre, a fini également par ne plus pouvoir écrire autre chose que le résumé quotidien de sa propre vie. Marc-Édouard Nabe ne s'en cachait pas : « Le Journal me bouffe. Je veux arrêter avant de me voir vivre moins de choses pour ne pas avoir à les écrire(17). » C'est ainsi qu'après avoir publié près de quatre mille pages de Journal intime qui n'embrassaient qu'une période de huit ans, il s'est résolu à brûler les dix dernières années de ses cahiers qui n'avaient pas encore été livrées au public... et même cet autodafé n'a pu se faire sans donner naissance à un monstre : un roman magnifique de huit cents pages, Alain Zannini, paru en 2002. La fumée du brasier génère encore de l'écrit.

Raccourcir le temps


Le journal intime entretient des rapports très particuliers avec le temps. Plusieurs temporalités sont en jeu dans cette discipline : celle des événements eux-mêmes, tels qu'ils sont en train de se produire ; celle de la narration de ces événements qui a lieu en général le soir même ou le lendemain matin (et plus le temps de la narration est éloigné du moment des faits, plus s'accroît le risque d'omissions ou d'erreurs) ; enfin, celle de la publication du journal en volume. Pour garantir l'intimité des écrits, les premiers journaux étaient publiés posthume, ou leur publication en plusieurs tomes débutait alors que leur auteur était âgé : c'est le cas d'Edmond de Goncourt ou de Léautaud. On pense aussi à Paul Morand dont le Journal inutile a été publié, à sa demande, vingt-cinq ans après sa mort, manière délicate de protéger la tranquillité des personnes citées en même temps que la sienne. Léon Bloy publiait le sien de son vivant, avec un écart qui pouvait varier de un à quatre ans entre le moment de la rédaction et celui de la publication. Il y avait déjà, de la part de Bloy, le désir de coller au plus près à l'époque des faits, de laisser le moins de temps possible s'incruster entre l'instant où les choses se sont passées et ont été relatées, et l'instant où elles seront lues. Une exigence qui l'obligeait à extraire de son journal ce qui aurait gonflé chaque volume démesurément, ainsi que les noms de certaines personnes – le plus souvent parce qu'ils n'auraient rien évoqué au lecteur, tandis que les artistes de l'époque, de Tailhade à Zola, en passant par Huysmans ou Henry de Groux, sont parfaitement identifiables. Œuvre incomplète, certes, mais qui n'en reste pas moins d'un courage extrême, d'une force bouleversante, où la haine, le rire et la douleur éclatent à chaque page.


Le journal publié anthume, en feuilleton, invite ses auteurs à s’interroger sur sa réception. Chacun doit, d'une manière ou d'une autre, résoudre le problème du décalage temporel entre le moment de la rédaction et le moment de la publication, en tenant compte des contraintes éditoriales et surtout des susceptibilités des personnes citées. Gabriel Matzneff rendait publique sa vie privée avec, en moyenne, une vingtaine d'années de retard (ou doit-on dire de sursis ?). L’année dernière, pourtant, il a publié le dernier volume de ses Carnets noirs : ceux de la période 2007-2008(18).

Renaud Camus, quant à lui, essaie comme Léon Bloy de ne pas laisser s'écouler trop d’années entre les faits et la parution du journal qui les relate. Un tel choix ne va évidemment pas sans risque : inutile de rappeler la ridicule polémique qui a suivi la publication de La Campagne de France il y a dix ans... Marc-Édouard Nabe, lui, veillait à ce qu'une dizaine d'années se soit écoulée avant que ne paraissent ses journaux : « le temps d'une prescription » ! La précaution, qui n'allait pas d'ailleurs sans quelque goût de la provocation, était judicieuse, Nabe prenant un malin plaisir à nommer précisément chaque individu dont il parlait, et à les joindre à un index monumental qui tenait à la fois de la liste des opposants au régime nabien et du bottin mondain...


À un journaliste qui lui demandait en 1994 s'il comptait « rattraper le retard », diminuer le décalage qui séparait le dernier jour écrit de la publication en volume, Nabe avait répondu : « C'est une sorte de fantasme. D'ailleurs ce n'est pas moi qui l’ai, d'autres personnes l'ont pour moi, mais je ne pense pas... À moins de publier son journal intime dans un journal quotidien, ce qui serait, pourquoi pas, une expérience intéressante pendant un temps, et qui permettrait d'ailleurs décrire sur ça dans un temps futur. »


Le journal en temps réel


Avec Internet, ce « fantasme » est aujourd'hui devenu réalité, grâce aux journaux intimes et autres blogs, sur lesquels écrivains en herbe ou auteurs confirmés livrent, au jour le jour, en temps réel, leurs réflexions personnelles. La masse de ces écrits est si monumentale qu'un tri est à faire, évidemment, pour séparer le bon grain de l'ivraie. Philippe Lejeune avait déjà évoqué le phénomène il y a quelques années dans un ouvrage intitulé Cher écran...

Les écrivains bénéficiant d’un éditeur sont toutefois plus réticents à user de la nouvelle technologie pour écrire leurs journaux, préférant encore la bonne vieille publication en volume… C’est le cas, pourtant, de Jérôme Attal, chanteur qui est parvenu à se faire connaître en tant qu’écrivain grâce à son journal publié sur le Net (comme certains musiciens se font connaître grâce à Myspace ou Youtube…). C’est le cas aussi de Xavier Houssin, ou encore de Hubert Nyssen, écrivain quadragénaire qui depuis quelques années diffuse son journal sur Internet avant de le publier ensuite en volumes. On peut évoquer également Éric Chevillard et son blog, « L’autofictif », où à raison de trois paragraphes par jour, il décortique le quotidien sous forme d’aphorismes cocasses : « Sa vie l’ennuie. Il en tient pourtant la chronique scrupuleuse dans son journal en se disant que peut-être elle l’intéressera davantage plus tard, à la relecture », ou encore : « Elle me tourna le dos pour composer son code à l’abri de mon regard indiscret, lequel donc se reporta sur ses fesses. » Mais comme le titre l’annonce, on n’est plus tout à fait dans le domaine du journal intime, plutôt dans celui de l’autofiction, où l’auteur transpose son quotidien sans souci d’exactitude ni d’authenticité.


On voit que la question de l'intime, de l'honnêteté du diariste devant ses cahiers ou son écran, est née avec le genre et n’a plus cessé de se poser depuis. Internet ne fait que la renouveler : comment parler de soi et de ses proches, du monde qui nous entoure, et livrer aux regards le soir même le résultat de ses tergiversations ? Plus de période de prescription : le journal intime se tient désormais en direct, au beau milieu d'une place publique. Voilà réalisé le rêve de nombreux diaristes, avec ce que cela comporte de jeu : utilisation de pseudonymes, omission de certains détails comme le lieu de l'action ou la biographie trop évidente, trop transparente, de l'auteur...


Internet est parvenu à rendre possible la publication immédiate du journal intime. Dès lors, l’éternelle question revient comme un boomerang : que lui reste-t-il d’intime ? L’adjectif est devenu trompeur, puisque le diariste, derrière son écran, arrange son style et n’oublie pas qu’il est entouré de lecteurs. Son intimité, il s’agit de la montrer en costume cravate, certainement pas ébouriffée et en charentaises… Pour qu’un journal intime le soit réellement, encore faudrait-il que l’auteur n’ait jamais songé que ses carnets seraient un jour publiés. L’intimité ne va jamais de fait dans un journal, dès lors que son auteur en projette une publication à plus ou moins long terme – l’intimité est un but, celui vers lequel le diariste doit tendre, en cherchant à se montrer le plus honnête possible, avec lui-même et avec son lecteur. On ment toujours au lecteur, comme on se ment à soi-même. On arrange les choses. L’intimité est un travail : on ne la touche jamais vraiment, mais on tourne autour en essayant de l’atteindre. Il y a ceux qui s’en approchent au point de se brûler, et ceux qui recomposent leur texte pour apparaître sous un jour meilleur… Le lecteur de journaux « intimes » doit se contenter de ça, et saluer les efforts de vérité du diariste.



(1) Eugène Ionesco, Notes et contre-notes, Gallimard, 1966.

(2) Paul Léautaud, Journal littéraire, tome 1, Mercure de France, 1986. 22 mars 1901.

(3) Marie Bashkirtseff, Journal 1877-1879, L’Âge d’Homme, 1999.

(4) Edmond et Jules de Goncourt, Journal. Mémoire de la vie littéraire, tome I, Robert-Laffont.

(5) Cité dans Les journaux de la vie littéraire, sous la dir. de Pierre-Jean Dufief, Presses universitaires de Rennes, 2009.

(6) Journal de l’abbé Mugnier, 1879-1939, Mercure de France, 1985. 20 novembre 1896.

(7) Jules Renard, Journal, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1965. 13 mars 1906.

(8) Matthieu Galey, Journal 1974-1986, Grasset, 1989. 27 août 1985.

(9) Mireille Havet, Journal 1924-1927. « C’était l’enfer et ses flammes et ses entailles », Claire Paulhan, 2008. 27 septembre 1926.

(10) Cesare Pavese, Le Métier de vivre, Gallimard, 1958. 10 avril 1936.

(11) Léon Bloy, Journal I, 1892-1907. Robert Laffont, collection « Bouquins », 1999.

(12) Id., 23 octobre 1906.

(13) Paul Léautaud, op. cit., 22 juillet 1922.

(14) Marc-Édouard Nabe, Kamikaze, Journal intime IV, Éditions du Rocher, 7 août 1990.

(15) André Gide, Journal 1887-1925, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1996.

(16) Henri-Frédéric Amiel, Journal intime, tome III, L’Âge d’Homme, 1979. 13 juillet 1860.

(17) Marc-Édouard Nabe, op. cit., 23 mai 1988.

(18) Gabriel Matzneff, Carnets noirs 2007-2008, Léo Scheer, 2009.