jeudi 7 août 2008

Ma cérémonie d'ouverture (rediff d'été)


[Peu de gens se souviennent que durant ma carrière déjà courte, j'ai été commentateur sportif. A l'occasion de l'ouverture des J.O. de Pékin - tous ces beaux athlètes arrivant à pied par la Chine -, je ne résiste pas à l'envie de rééditer mon compte-rendu d'une autre cérémonie : celle qui a eu lieu à Athènes il y a quatre ans. Ne serait-ce que pour permettre au lecteur de comparer les deux. Gérard Holtz a-t-il enfin compris le principe des dates avant Jésus-Christ ? Quelle est la capitale du Zimbabwé ? Robert Meynard portera-t-il la flamme olympique ? Le Dalaï-Lama est-il nu sous sa robe ? Ce n'est pas en lisant ce texte que vous le saurez, mais en regardant France 2 (vive le sport sur) demain soir. Et qui sera éliminé à Koh Lanta ? Que de mystères, mon Dieu...

Pour les nostalgiques du sirtaki, voici l'adresse où vous pourrez retrouver les quelques chefs-d'oeuvre que les jeux d'Athènes nous inspirèrent, à moi et à quelques affidés : http://palindrome.hautetfort.com/archives/category/il_est_temps_de_rend.html ]


N’aimant pas la moussaka, et encore moins la foule, j’ai préféré rentrer au bungalow pour regarder la cérémonie tranquille. Déjà, ça a commencé beaucoup trop tôt. Je m’installais confortablement à vingt heures devant mon téléviseur pour prendre ma ration quotidienne de désinformation sur France 2, et voilà que nous étions déjà en Grèce, avec un écran bleu comme une rupture de faisceaux. « Vive l’amour ! Vive l’amour ! », disait Gérard Holtz devant un couple de patineurs artistiques censés représenter Eros. Quand on entend Gérard Holtz parler de l’Antiquité, on sait déjà qu’il s’agit de sport. « On remonte l’Histoire : nous étions en 2000 avant J.-C., nous voilà en l’an 1000. » Mais alors, mon petit Gégé, si c’est le cas, on ne la remonte pas, l’Histoire ! Non, non, je t’assure : on va dans le bon sens… Des guerriers aux torses nus et peints en blanc comme des statues de marbre viennent de passer : je vais me faire cuire une omelette. De quatre œufs.


J’ai encore laissé cuire trop longtemps mon entrecôte « cordon bleu » (on est célibataire ou on ne l’est pas), mais pour l’omelette ça devrait aller. Trop salée, peut-être. Il se passe des choses très, très intéressantes, parmi les plus pointues qui soient en matière de cérémonies d’ouvertures, mais je ne sais pas prendre de notes en mangeant. Vous ne saurez donc rien du petit « jeu des capitales » lancé par les deux commentateurs, mon petit Gégé demandant, à chaque fois que les représentants d’un pays entrent sur le stade de Maroussi, quelle est la capitale de ce pays, et son compère Jean-Paul Ollivier enchaînant en ajoutant quelques anecdotes faussement inintéressantes (je suppose) sur cette capitale.


J’ai mangé plutôt vite : j’ai fini mon assiette avant qu’arrive la Guinée-Bissau, suivie du Danemark. Moi aussi je vise une performance, ce soir : je dois informer mes lecteurs, au risque de manger trop vite et d’avoir une digestion difficile. Mais je dois aussi laver ma vaisselle. Je laisse mes plats sécher tous seuls, pas le temps de les essuyer, je dois suivre cette cérémonie pour vous livrer mes réactions à chaud. Je dois aussi sortir mes poubelles. Mon petit Gégé s’interroge sur la capitale du Kazakhstan. Plein de choses parmi les plus pointues qui soient, je ne vous ai pas menti. Je reviens juste à l’instant où le Tibet fait son entrée. Lui, pourtant, n’était pas descendu au local poubelle, sinon nous nous serions croisés. Sur TF1, au même moment, les Mogo et les Chapera s’inquiètent beaucoup de la réunification et surtout de la présence d’un certain Guillaume. Je ne donne pas cher de sa tête au prochain conseil. Cette cérémonie d’ouverture est vraiment passionnante.


Je passe sur Canal +, parce que les J.O., ce n’est pas seulement France Télévisions. Ce serait une erreur de le croire. Stéphane Bern salue l’apparition de la Corée. Ils ont l’air de rigoler beaucoup plus sur Canal. Canal + de potes ! Je n’ai pas envie de rigoler, il y a un temps pour tout : je zappe. Ah ! sur la 6, il y a Natacha Amal, médaille d’argent du décolleté (sauf là). Je ne comprends pas trop ce qu’elle dit, visiblement elle a des ennuis : elle se fait interroger par une blonde aux yeux bleus, du genre qui pourrait très facilement me faire tout avouer, d’autant que je suis très chatouilleux.


Retour sur la 2 : voici la Lettonie. Mais où donc est Stan ? Déjà la Biélorussie : les distances sont vraiment réduites, ce soir. Au premier rang, une magnifique brune au sourire inconcevable qui agite son petit drapeau m’évoque un peu Ornella Muti. Stan ! La Lituanie, nom de Dieu !... Petite pensée pour Bertrand Cantat, médaille de bronze de lutte gréco-romaine. C’est un peu monotone, cette suite de nations : on dirait qu’il y a de moins en moins de monde dans les délégations… Je ne vais jamais pouvoir tenir jusqu’à onze heures et demie. Ah ! Voilà la Mongolie… Elle aussi est venue se faire voir chez les Grecs. À Koh Lanta, les candidats sont debout sur des rondins de bois au beau milieu de l’eau. Ce n’est rien, comme épreuve, comparée à l’enjeu qui est le nôtre : tenir deux semaines devant Gérard Holtz, David Douillet ou Stéphane Bern. Les Polonais portent des chapeaux rouges. Voilà une information primordiale. Il y en aura d’autres du même acabit tout au long de ces prochains jours : le Palindrome est sur la brèche. Pas la peine de regarder les J.O. : nous nous occupons de tout.


Bon, j’abrège tout de même, évidemment, sinon la folie nous guetterait tous. Sur Koh Lanta, j’ai raté le conseil. Sur France 2, alors que défile la Grèce, mon petit Gégé parle d’un mystère autour du champion qui devait porter le flambeau et qui ne s’est pas présenté aux contrôles antidopages... Hum ! hum... Tout cela ne manque pas d’intérêt... Je ne sais pas si je parviendrai à retenir les noms des sportifs grecs, moi. Ça risque d’être un problème. Je demanderai à Yanis de me faire un petit pense-bête. Sur leur île, l’équipe réunifiée tire sur un élastique pour récupérer des morceaux de bois. Les jeux de plage m’ont toujours fatigué. « Regardez comme c’est beau, un monde qui croit au sport », déclare Gérard Holtz. J’écrase une larme sur le rebord de ma paupière. Ça me fait souvent ça quand je bâille.


22 h 25 : Björk entonne Oceania. J’ai rarement trouvé mon poste de télé aussi sexy. Bon, je ne vais même plus pouvoir dire de mal de cette soirée, alors ? Les salauds avaient bien préparé leur coup ! Ceci, tout de même : la chanson de Björk était cent fois plus courte que sa robe, ce qui est une faute de goût impardonnable. Ensuite, deux crétins viennent dire bonjour aux caméras depuis l’espace — comme s’il n’y avait pas mieux à faire dans l’espace… Gianna Angelopoulos-Baskialaki a de jolies jambes. Elle faisait son discours sur une plateforme, sous un olivier en carton : je me demande si les spectateurs qui se trouvaient dessous pouvaient voir sous sa robe. Sur la une, un type attrape un requin au lasso. Sur la deux, Jacques Rogge dit non au doping. Il faudrait que ça se termine vite, maintenant. Huit personnes trimballent un drapeau frappé des anneaux olympiques pendant une éternité : j’en ai mal aux pieds pour eux. Je ne sais pas pourquoi ils sont tous déguisés en marins pour regarder monter le drapeau, mais tout cela doit avoir un sens. On attendait une flamme olympique, mon petit Gégé et moi, et on voit arriver une vingtaine de gus pendus à des câbles et tenant de faux flambeaux en néon. J’allais crier à l’imposture, mais non, la voilà, la flamme, la vraie de vraie. Vu le peu de temps que chaque relayeur la tient en main, je ne m’étonne plus qu’il y en ait eu onze mille depuis Olympie ! La vasque ressemble à un suppositoire monumental. Le porteur de la flamme l’allume. Reste à savoir si elle fondra durant les jeux. Si c’est le cas, ça risque de puer l’eucalyptus pendant un moment. Nous vous en tiendrons informé.
Palindrome, 14 août 2004.