mardi 8 avril 2008

Vive la liberté libre !


Qu’y a-t-il de pire qu’un régime totalitaire, sinon un défenseur des droits de l’homme ?

Ils me fatiguent, ces militants qui réclament un Tibet libre en se plantant au milieu du parcours de la flamme olympique ! On dirait vraiment qu’ils s’imaginent pouvoir sauver le monde en soufflant sur une torche, ces révolutionnaires du poumon ! Comme si le gouvernement chinois allait reconsidérer sa conception de la politique en voyant la France boycotter la cérémonie d’ouverture des J.O. de Pékin, ou en apercevant sur le maillot des sportifs un petit badge « Pour un monde meilleur » ! Et Rama Yade, en bonne professionnelle de la libération des libertés, à peine remise de son courroux face à la visite de Kadhafi, agite bien haut son index grognon : pas question que la France participe à cette cérémonie, à moins qu’elle obtienne du gouvernement chinois que petit a, et que petit b, et puis aussi que petit c. Ah ! Elle ne s’en laisse pas conter, Rama ! Les coups de règle vont tomber, je serais Hu Jintao, je ferais pas trop mon malin…

Bien entendu, personne n’est dupe. Tout le monde sait que ces manifestations publiques, ces banderoles, ne changeront rien, que la Chine continuera d’occuper le Tibet, que les opposants au régime resteront emprisonnées et le Dalaï Lama en exil. La France ne participera pas à la cérémonie d’ouverture ? Eh bien qu’elle reste bouddher dans son coin ! Tout le monde sait que ça ne changera rien, oui, mais tout ce qui compte, c’est le symbole ! Il faut que le gouvernement chinois sache que nous désapprouvons sa politique.

Fort bien, il le sait. Le problème, c’est qu’il s’en fout comme de sa première jonque, le gouvernement chinois ! Il est riche et puissant, et ses relations commerciales avec l’Occident ne sont pas le moins du monde remises en question. Ce n’est qu’une petite fâcherie, souffrez quelques dissensions entre nous, allons mon cher ami, vous en êtes un autre. La vérité, c’est que le symbole a surtout pour but de satisfaire l’ego du militant droit-de-l’hommiste, c’est tout. C’est qu’il est fier, Jean-Bernard, d’endosser une fois de plus son costume d’indigné ! Il ne l’avait pas ressorti depuis le 21 avril 2002 ! Qu’il a belle allure, à descendre dans la rue, résistant des temps modernes, défenseur des libertés-partout-dans-le-monde tous les week-end de neuf à seize heures ! Ah, c'est qu'il ne reste pas les bras croisés, Jean-Bernard. Tout au plus plonge-t-il ses mains dans ses poches, parce qu'il fait frais, sur le pavé des justes causes.

Oui, il est fier de montrer qu’il ne soutient pas un régime ennemi des libertés. Ce qui importe, ce n’est pas que la Chine voie qu’on s’oppose à sa politique ; ce qui importe, c’est que le monde voie qu’on s’est opposé à la politique chinoise ! C’est totalement différent. Surtout, qu’il ne nous soit pas reproché d’avoir « laissé faire ». Nous sommes pour la liberté, l’indépendance, l’autonomie (rayez les mentions inutiles) du Tibet, mais nous n’irons jamais jusqu’à mourir pour cette cause, bien sûr. Simplement, nous aurons « milité ». Nous aurons protesté. Nous nous serons indignés. Nous nous serons désolidarisés de. Pour que personne ne puisse dire que nous n’avons rien fait. Et vous, qui minimisez notre combat, qui critiquez nos utopies, qu’est-ce que vous avez fait ? On ne vous a pas vu, devant la flamme olympique, avec un tee-shirt Free Tibet !

Il était impossible de rester silencieux devant ces atrocités… Ah bon, vraiment ? Mais alors, pourquoi a-t-il fallu attendre que l’échéance des Jeux approche pour que soudain, tout le monde se souvienne du Tibet ? Hu Jintao était-il un grand humaniste, l’année dernière ? Tout le monde sait que sitôt la compétition terminée, plus personne ne se souciera du sort des moines à la robe safran ! C’est donc un phénomène de mode, un de plus, au même titre que le Vélib, le parler ch’timi et la tecktonik !...

Alors non, c’est vrai, moi qui vous parle, je n’ai rien fait pour montrer ma désapprobation face aux méchants Chinois, je n’ai pas arboré de pin’s « touche pas à mon bonze », je n’ai pas fait semblant de lutter pour qu’on sache bien que j’étais du côté des gentils. Pour les Bisounours, contre Dark Vador ! Quelle hypocrisie ! Prétendre que vos coups d’éclat vont servir à quelque chose, alors qu’il est évident qu’il n’en est rien ! Vous pouvez bien accrocher des menottes en guise d’anneaux olympiques sur la Tour Eiffel, pendant ce temps-là, au moins, vous ne faites pas de bêtises. Vous ne cherchez qu’à vous faire bien voir, bande de premiers de la classe ! Quitte à entrer dans une lutte inégale et perdue d’avance, au moins, ayez le courage d’engager votre vie ! J’ai plus de respect pour un anarchiste qui va faire sauter une bombe pour se faire entendre, même si son résultat est nul, que pour un militant pacifiste qui rentrera tranquillement se coucher après avoir crié dans un mégaphone pour le même résultat. Dans le premier cas, on a affaire à un fou égocentrique qui pense réellement qu’il va pouvoir changer les choses, ce qui est touchant. Dans l’autre, je ne vois qu’un lâche qui refuse d’assumer son inutilité (qu'y a-t-il de plus noble, pourtant, chez l’être humain, que l’inutilité ?), et qui tente par tout les moyens de montrer qu’il fait quelque chose, qu’il lutte, qu’il se débat… Et si en plus il peut se prendre quelques claques de la part des farces de l'ordre, c’est encore mieux : bien sûr, ce n’est pas ce qu’on cherche – mais quand même, revenir de la manif avec une arcade sourcilière explosée, c’est la classe !