lundi 18 février 2008

Evariste goudron, le tueur sentimental


Moi, monsieur le commissaire, j’aime les fleurs. Ne vous moquez pas de moi. Elle portait ce jour-là une robe rouge qui se déployait au buste comme un coquelicot à la belle saison. Nous étions en février, monsieur le commissaire. Notez, c’est important. La nature ne se serait jamais permise cette erreur: un coquelicot en février... Il fallait donc que ce fût un signe qui m’était envoyé, à moi, Evariste Goudron, ami des fleurs et des jardins bien tenus, et poète à mes heures. Je l’ai suivie, notant au passage qu’elle discutait avec une sorte d’homogyne des Alpes tirant sur le mauve, une petite dame âgée aux cheveux teints et aux mèches désordonnées — vous connaissez les Alpes, monsieur le commissaire ? L’homogyne, mmh ? Excusez-moi, je continue —, l’homogyne partie, je me suis efforcé de suivre mon coquelicot, comprenez-moi, j’étais fasciné ! Quelle capsule ! Quelles étamines ! Si vous l’aviez vu, monsieur le coquelicot, mon commissaire ! Il fallait que je l’étudie, que je me penche sur ce bouton largement ouvert, bien avant la date... Mais j’y pense soudain, l’homogyne non plus n’avait aucune raison d’apparaître ici en plein mois de février ! Vous auriez dû noter cette incohérence illico, monsieur le commissionnaire ! Cette distraction ne vous honore pas. L’homogyne, allons ! Fleur de juin, monsieur le commandant, fleur de juin ! Et des Alpes, notez-le bien. Et tous ces hortensias, et ces rhododendrons qui apparaissaient et disparaissaient à mesure que nous avancions... Eux non plus n’étaient pas à leur place ! Quelle histoire !... Mais où en étais-je ? Oui, mon coquelicot, bien sûr. Et bien, figurez-vous qu’il s’apprêtait à pénétrer dans une de ces boîtes de nuit certainement sombre et enfumée, dans laquelle il se serait très vite fané. Je l’ai cueilli à temps, et l’ai amené doucement jusqu’à ma voiture, garée non loin de là. Ma voiture dans laquelle j’ai toujours, notez-le bien, tous les ustensiles nécessaires pour étudier les fleurs que je découvre lors de mes promenades. Lampe frontale, scalpels et microscope, j’ai déposé le coquelicot sur la banquette arrière pour m’installer plus à mon aise. C’est en voulant ouvrir son fruit que je me suis rendu compte de ma méprise. Ah ! Quelle horreur ! Cette fleur n’en était pas une, monsieur le président, c’était... je n’ose pas dire le nom tant l’effroi me submerge... Une femme !... Que c’est laid, une femme vue en coupe !... Et ce pollen rouge qui se répandait dans l’habitacle, je n’aurais jamais dû approcher cette maudite papavéracée... L’homme est trop salissant. Imaginez ma déconvenue...